Marshall McLuhan The Playboy Interview March 1969

 

En 1969, [W:Marshall Mac Luhan] donne une interview au journal Playboy. Entre la playmate du mois et une nouvelle de Arthur C. Clarke, l’interview court sur 14 pages. Mc Luhan est à ce  moment est au sommet de sa popularité. Ses deux livres, The Gutenberg Galaxy (1962) et Undestanding Media (1964) en ont fait le spécialiste des médias. De grandes compagnies l’invitent à réfléchir sur leurs activités, le premier ministre canadien lui demande de travailler sur son image… il est aussi adulé que  récrié. L’acceuil universitaire est chaudement négatif mais il faut reconnaître au “Dr Spock de la pop culture” d’apporter des vues neuves. Lire Mc Luhan, c’est lire Leroy-Gourhan et Teilhard de Chardin remixés par Narcisse et Freud dans le baquet de Mesmer, c’est assister aux convulsions provoquées par l’accouplement de l’imprimerie avec l’électricité, c’est voir le corps social se boursoufler sous l’electrisation, c’est être confronté à une suscession d’images de gueules cassées qui ne sont pas sans faire penser aux portraits de Picasso ou de Bacon. Son style est fait de raccourcis, de métaphores, de longues digressions, d’éllipse, de simplifications ou de naïvetés devant lesquels on hésite, voire même on se révolte. Pourtant, par ces même raccourcis, par ses aphorismes – “L’electricité est de l’information pure”; “le médium c’est le message “-  il ramène de l’écume médiatique ce qui est au vif de son époque.

La thèse centrale de Mac Luhan est que tous les média exercent sur les sociétés une influence complexe. Sa définition d’un média est assez large, elle va “de  l’ordinateur aux vêtements“. Ces média provoquent des changements profonds et durables chez l’homme et s’ils n’avaient pas encore été remarqués, c’est que jusqu’à présent, ils se produisaient à une vitesse trop lente pour être facilement observés. Il est également une seconde raison : les média provoquent une “transe narcissique”, effet du choc de l’innovation, qui rend les individus incapables de percevoir les effets psychiques et sociaux des innovations  technologiques, les rendant aussi inconscients à leurs effets que le poisson est inconscient de l’eau dans laquelle il nage.

Pour Mac Luhan, l’humanité a traversé trois innovations technologiques majeures : l’alphabet phonologique, l’imprimerie et l’électricité. Toutes trois ont été pour l’homme un choc profond, toutes trois ont accéléré les mouvements de celle qui l’a précédé, toutes trois tombent comme des bombes dans l’espace social. Ainsi, l’alphabet phonologique est à la fois un progrès et un désastre pour les espaces psychologiques individuels et collectifs car il opère un démantèlement. Pour Mc Luhan, la technologie opère des opérations de substitution jusque dans les images du corps individuelles. “Un oeil pour une oreille”, voilà le résultat de l’invention de l’alphabet phonétique.Là ou il y avait une unité et une harmonie sensuelle, il y a maintenant un maître sens qui domine et ordonne tout. L’harmonie primitive, qui pour Mac Luhan permettait à l’homme tribal de percevoir son environnement et lui-même d’une façon cohérente et totale, est rompue. L’adhésion sensuelle au monde est perdue. Comme dans la fable, les différents l’ouïe, le toucher, l’odorat, l’olfaction et la vue ne sont plus contenus ensemble. Les innovations techniques nous confronteraient à l’ expérience de démantèlement décrite par Donald  Meltzer (1975), chaque sens allant vers l’objet qui lui est le plus attirant.

Le présent est toujours invisible” disait Mc Luhan, et il semble bien que l’adage se vérifie pour lui aussi. Alors qu’il décrivait les effets de la rencontre de de l’imprimerie et de l’électricité, il n’avait pas perçu qu’une autre révolution était déjà en route. L’informatique personnelle naissante se transformait en un marché qui allait faire la fortune de quelques uns. Les réseaux informatiques produisaient de nouvelles cultures, en donnant un espace u-topiques à des idéologies qui existaient hors-ligne (hippies, contre-culture américaine, communautarisme) et les mettant en contact avec des groupes et des idéologies qui leur étaient sinon étrangères du moins éloignés. C’est ainsi que les communautés d’intérêt scientifique ont rencontré différents courants contestataires et ont bati l’Internet sur l’idéologie de l'”adhocratie” (Flichy, P. 2001) Mc Luhan ne connaît pas le réseau. Il en reste a une vision très proche de la noosphère de  Teilhard de Chardin  ou de la radiosphère de Gaston Bachelard. Il imagine qu’il réseau qu’il pourrait être utilisé pour réguler la météorologie médiatique mondiale. Pendant ce temps, des usagers ont déjà glissé dans le réseau et mélangent leurs vies électroniques : “le présent est toujours invisible“.