First Monday a consacré tout un numéro au Web 2.0 : Critical Perspectives on Web 2.0. Le numéro explore les mythes du Web 2.0. Kylie Jarrett a donné un texte, Interactitivy is Evil ! A critical investigation of Web 2.0, dans lequel elle analyse ce qui est au coeur du web 2.0 : l’interactivité
"The key feature of the web 2.0 is the developpement of software wich enable mass participation in social activities (…) The social networks at the forefront of this phenomenon (economy) emerge from the hability of users to represent themselves and their interest in mediated spaces and to activate engagement with others via these representations" Kylie Jarrett
La discipline et l’interaction
Kylie Jarret oppose la discipline de Michel Foucault et l’interactivité de Barry. La discipline de Foucault, rappelle-t-elle, est une technique organisée et maintenue par le pouvoir . Le modèle en est le panopticon : un pouvoir central surveille à sa périphérie des individus sans que les individus ne puissent savoir à quels moments ils sont objet de surveillance. La conséquence en est que chaque individu se comporte à tout instant comme s’il était surveillé. Pour Foucault, l’histoire du pouvoir est une histoire d’une lente intériorisation par les individus de la violence qui leur est faite.
Pour Barry, l’interaction n’est pas une discipline au sens foucaldien. Contrairement à la discipline, l’interactivité n’implique par une articulation sans défaut entre le corps et les objets. La discipline militaire, par exemple, a pour but de construire des solidarités sans faille : entre le soldat et son arme, entre le soldat et le soldat, entre les différents niveaux hiérarchiques des corps d’armée. Si la discipline ne permet aucune créativité, l’interactivité est elle ouverte sur la création de nouveauté, sur la liberté personnelle, la disparition de la figure de l’expert. En un mot, là ou la disciple assujetti un corps et un objet, un sujet et un dispositif, l’interactivité articule.
Sur plusieurs points : la temporalité, les dispositifs d’écriture, l’usage, la figure de l’expert, le web 2.0 est un bon candidat à l’interactivité de . Barry
La temporalité. Contrairement aux médias précédents, la temporalité n’est pas fixée par un autre dans une grille rigide. Les objets sont disponibles à la demande. Les différences sont très perceptibles si l’on pense à un média comme la télévision. La télévision propose des programmes a des horaires fixes qui ne peuvent pas être modifiés par les téléspectateurs. Ils doivent être disponibles au moment ou le programme est diffusé ou au moins déléguer leur disponibilité à un appareil enregistreur. Le web 2.0 est dans son ensemble un espace de stockage dans lequel les objets sont librement accessibles. Les usagers y accédent en fonction de leur disponibilité. Que ce soit sur youtube ou sur un forum, l’interaction peut être commencée, mise en pause et reprise à tout moment.
L’articulation des corps et des objets. Les dispositifs ne déterminent pas entièrement les contributions des usagers. Pour Kylie Jarret, même si les caractéristiques d’un site ont un impact sur les interactions, la technologie reste encore suffisamment ouverte pour permettre à la créativité de chacun de s’exprimer librement. L’utilisateur n’a pas à faire corps avec la machine – comme le soldat avec son arme – mais peut utiliser la machine d’une façon non conforme ou non prévue
L’utilisation intensive. La ou la discipline conduit à une utilisation exhaustive, le web 2.0 est plutôt une succession de dispositifs permettant d’utiliser une partie des immenses ressources de l’Internet. Pouvoir accepter ou rejeter une demande de lien sur un réseau social, rassembler des pages avec des étiquettes ("tags") grace aux folksonomies, renseigner totalement ou pas son profil … tous ces usages sont partiels alors que la discipline est totale : l’exercice est su/réussi … ou pas.
La disparition de l’expert. Là ou se tenait la figure de l’expert, le web 2.0 substitue la foule. Au savoir unique fait place la multitude des points de vue.
Interactivité et néolibéralisme
Tous ces éléments ne font cependant pas du Web 2.0 un espace libre de tout contrôle et de tout pouvoir. Ce n’est pas le lieu des "subjectivités actives" opposé au vieux monde des "corps dociles". Kylie Jarret montre que l’interactivité de Barry est aussi une technique disciplinaire au sens de Foucault en ce sens qu’elle est infiltrée idéologiquement. En ne définissant pas strictement les relations du sujet au dispositif, l’interaction ouvre des espaces de création mais fait aussi implicitement référence a un sujet à-priori capable d’agir mais également de faire des choix librement. Cette liberté qui est la notre sur le web – liberté de faire et de défaire, de lier et de délier est infiltrée par l’idéologie nélibérale. Le néolibéralisme fait du sujet un être du libre choix. Chacun serait libre de toute contrainte et agirait en pleine conscience de ses actes.L’être néolibéral est un être autonome : chacun est son propre gouvernement. La conséquence logique est que les gouvernements se retirent de la vie des citoyens. Ceux ci sont d’ailleurs plus des consommateurs que des citoyens : ils consomment les services concurrentiels qui leur sont proposés, qu’il s’agisse d’éductation, de santé, ou de récréation.
Ce sujet néolibéral se superpose parfaitement au sujet du web : ici comme là, le même accent sur la "liberté" d’agir, et ici comme là cette même "liberté" et présentée comme source de créativité et de mieux-être pour chacun et pour la communauté. Pour Kyle Jarrett, il s’agit bien d’une discipline au sens de Foucault : un grand dressement des ames et des esprits :
"The web 2.0 user who accept the call to interact is being shaped into, or reinforced as, the active, entrepreuneurial citizen of neoliberalism" Kylie Jarrett.
"L’usager du web 2.0 qui accepte l’interaction est transformé, ou renforcé, en un sujet sujet actif, entrepreneurial du néolibéralime. Kylie Jarrett.
Kyle Jarret met en regard la nécessité dans laquelle le plus grand nombre est sans cesse obligé de se redéfinir, de s’adapter, d’innover, de faire face à l’imprévu – nécessités qui sont par la grâce du néolibéralisme transformées en vertus – et les pratiques du web 2.0 qui nous soumettent aux mêmes contraintes. Participer à un réseau social, c’est se donner l’obligation de réagir au flux d’information. Le contrôle que nous avons donc sur nos profils, sur les informations que nous rendons disponible aux autres cache une perte de contrôle face à l’idéologie dominante du moment. En un sens, plus nous exerçons notre contrôle sur les dispositifs de participation, plus nous nous aliénons à un pouvoir qui, s’il se présente avec les colifichets du Web 2.0 n’en est pas moins réél.
Ce pouvoir s’étend – et c’est sans doute là la nouveauté – jusque dans les arrière salle de chacun. Tout l’espace est devenu un espace social, et les zones qui étaient précédemment perçues comme privées tendent à se réduire. Sur un site comme Facebook, par exemple, les modifications des "statuts" ou de la photo qui illustre le profil ne sont jamais neutres. Ils sont toujours en lien avec l’identité de la personne; ils en sont soit le reflet, soit une anticipation. Dans l’idéal, une vie en ligne serait une vie ou tout serait partagé, une vie sans barrières, une vie ou tout se lit ou se voit, les événements minuscule d’une vie comme les changements masjuscule. Facebook annoncera avec la même tonalité le changement d’un numéro de téléphone et la naissance d’un enfant. Cet idéal est celui du néolibéralisme qui prône le libre échange, la disparition des barrières douanières, la "liberté" du marché économique.
La grande force du Web 2.0 est d’avoir pu masquer les éléments de contrôle et de domination sous une séduction efficace. L’interactivité, la mise en avant du contrôle dont bénéficie l’usager sont toujours présentées comme un plus par rapport aux médias précédents. Le web 2.0 célèbre le pouvoir donné aux petits qui trouveraient ainsi une revanche ou des modalités d’ expression vis a vis des puissances. Les hymnes comme "We are the web" sont une célébration de ce pouvoir. Elle sont aussi – surtout, si l’on suit Kyle Jarrett – une dénégation du contrôle dont nous sommes l’objet.
"As a seductive expression of power, interactivity is based on condescension : a deliberate masking of power in order to effect control" Kylie Jarrett
"Expression séduisante de la puissance, l’interactivité est basée sur la condescendance : un masquage délibéré du pouvoir afin d’effectuer un contrôle. " Kyle Jarrett
Masqué, un pouvoir n’en reste pas moins un pouvoir. Diffracté en une multitude d’hommes sans qualités, il n’en reste pas moins efficace. Peut être même l’est il plus encore puisqu’il moins localisable. Comment manifester contre un pouvoir qui n’a pas de centre ? Comment s’opposer a ce qui ni figure représentative, ni centre ? Comment s’opposer a ce qui est unanimement présenté comme un bien et un progrès ?