“L’imaginaire des techniques existe.Il doit être traité comme une production symbolique de notre culture, au même titre que les mythes des peuples sans écriture”. Scardigli. ((Scardigli, V. (1992). Les sens de la technique. Presses Universitaires de France (PUF).))

Dans la technique se donnent une succession de mythes qui s’organisent comme autant de « miracles » ou de « frayeurs ». La grille donnée par Victor Scardigli s’applique sans peine à l’Internet qui est à la fois l’objet des plus grandes attentes et des plus grandes craintes.

  1. Internet serait ainsi à la fois un contre-pouvoir et le lieu ou peut s’exercer la pointilleuse malveillance de tous les Big Brothers.
  2. C’est un réserve de savoirs dont on nous dit qu’il est facilement accessible qu’il soit produit par l’intelligence collective à la Wikipédia ou par des sources plus classiques. Mais c’est aussi le lieu de ou le culte de l’amateurisme vient saper l’autorité de l’expert (Keen, A.).
  3. L’internet est un lieu de mémoire permettant de « tout » garder – « Archivez vos messages a lieu de les supprimer » dit gmail.com – mais c’est également un lieu très volatile : une page peut ne plus être accessible du jour au lendemain.
  4. Internet est un facteur de justice sociale car les interactions n’y ont pas les pesanteurs de l’espace géographique. Elles sont plus directes et chacun est jugé sur sa valeur intrinsèque. La fracture numérique creuse encore plus les inégalités.
  5. Internet permet de créer des communautés autour d’intérets communs. Il accroît la solitude en tuant la vraie sociabilité
  6. L’internet crée une nouvelle économie … qui s’est effondrée en Mars 2000.
  7. L’internet permet d’atteindre des personnes au-delà de son horizon géographique. Il nous transforme en voyageurs immobiles rivés à nos écrans.

Ces mythes se heurtent et s’opposent dans l’espace social. Certains facilitent la mise en place des innovations techniques, tandis que d’autres la freinent ou la retardent. L’adoption d’une technique se fait pour Victor Scardigli en trois temps. Le premier est celui des annonces prophétiques et le dernier est celui des usages avérés. Entre les deux, une période de tâtonnements, d’inventions, et de redéfinition du projet initial.

 

Les trois temps de la diffusion d'une innonvation technique d'après Musso in Fabriquer le futur 2

« Les imaginaires d’une innovations technique ne sont pas stables. Ils évoluent en passant par des phases de consensus euphorique ou de grand scepticisme, d’affrontement et de débats, puis ils se stabilisent avec la diffusion de la technique et le développement de ses appropriations. In fine, l’usage de l’objet technique pourra aussi bien être conforme à ce qu’imaginait le concepteur que très différent, du fait des détournements ou des ajustements, voire du refus partiel de certaines potentialités offerte par la technique. Un équilibre est progressivement trouvé par les itérations successives entre l’objet technique, ses imaginaires et ses usages » Pierre Musso

C’est ainsi que nous acceptons relativement ce qui avait été vigoureusement refusé au début de l’Internet. Ainsi, la commande FINGER inventée par Les Earnest au début des années 1970 permettait de savoir qui était en ligne. La commande renvoyait la date et l’heure de la dernière connexion de la personne, et la dernière fois qu’elle avait lu son mail. La commande suscita beaucoup d’émoi et on lui opposa le respect de la vie privé. Les pratiques actuelles vont bien plus loin que ce que permet la commande FINGER puisque les sites de réseaux sociaux regorgent d’éléments permettant d’identifier les utilisateurs.