Lucien Sfez a identifié trois visions du monde par lesquelles nous appréhendons le monde technique. Ces trois visions sont identifiées par des préposions : « avec », « dans » et « par ». Lorsque nous sommes avec la technique, nous l’utilisons comme un outil qui nous est extérieur. Nous sommes dans une attitude de maitrise et de domination : « L’homme reste fondamentalement libre vis-à-vis de la technique. Il en use, mais ne s’y asservit pas » (Sfez, 41). La machine est un dompte-monde, un outil du projet prométhéen de l’homme. La relation que l’homme entretient avec cette machine reste froide et utilitaire. Il n’y a ni fascination, ni émerveillement, juste un regard « rationnel » jugeant comme normal et naturel ce que la machine effectue : « La machine est objet. Le sujet est séparé d’elle. Il l’utilise et la maitrise » (Sfez, 42)

Cette différenciation tend à s’effacer car notre environnement « naturel » est un environnement technique produit par des machines Nous voyons, nous entendons, nous sentons, nous vivons dans des dispositifs techniques. . Dès lors, « nous sommes assujettis à la vision du monde qu’ils induisent ».Alors que précédemment, l’homme affrontait la nature avec ses techniques, ici ce sont ses techniques qui deviennent sa nature. La distanciation de la médiation fait place à l’immédiateté de l’immersion : « Dans un monde fait d’objets techniques, l’homme doit compter avec l’organisation complexe de hiérarchies qu’il subit. […] En utilisant cette préposition « dans », l’homme s’insère dans un autre modèle, celui de l’organisme qui fait état d’une relation interne des parties et du tout » (Sfez, 44). Les parties de la machine se disjoignent et absorbent l’homme en son sein : la technique s’est faite environnement. Ce qui importe c’est la « relation interne des parties et du tout » et la façon dont chacun va s’adapter à cet environnement.

Enfin, nous pouvons vivre par la machine. La relation de maîtrise qui était celle de l’avec s’inverse en se radicalisant. Nous ne sommes pas simplement des esclaves de nos machines : nous en sommes des composants. Nous sommes la machine, faite à son image. « Par la technique, l’homme peut exister, mais non en dehors du miroir qu’elle lui tend » (Sfez, 46). Le défi prométhéen s’est gâté et l’homme se révèle n’être que le double de l’outil qu’il pensait maîtriser. La généalogie s’inverse : le créateur devient la création et les différences qui permettaient la maîtrise s’effacent. Avec le par la machine s’ouvre le monde de l’autroréférence : « le producteur est produit et producteur en même temps. Il n’y a ni commencement, ni fin. Mais un circularité totale et un enfermement » (Sfez, 47)

Notre relation au réseau suit ces différentes métaphores. Il nous est quelque chose avec lequel nous pouvons communiquer avec d’autres hommes, trouver et produire de l’information ou encore jouer. Mais c’est également un espace dans lequel nous sommes immergés. Nos relations sociales, notre vie politique et même notre vie privée est intimement liée au réseau. Enfin, les craintes relatives au réseau empruntent beaucoup à la figure du Docteur Frankenstein. Nous craignons pour l’un comme pour l’autre autant l’assemble hétéroclite par lequel il est constitué que le risque que la créature nous échappe. Les limites entre moi et les autres, ou celles des dispositifs techniques (mais jusqu’ou va l’internet) sont de plus en plus poreuses et de ce fait autant d’occasions de rencontre avec l’angoisse.