Il y a au moins un moment où les transformations extraordinaires de [W:Protée] nous ont été accessibles : lorsqu’enfant, la distinction entre le possible et l’impossible n’était pas tout à fait claire, notre image du corps variait en fonction de nos désirs. Les variations de l’image du corps s’organisent autour de deux moments. Le premier est la castration ombilicale, et le second est le stade du miroir. La césure ombilicale insère le schéma corporel à l’intérieur de l’enveloppe formée par la peau tandis que le stade du miroir précipite la représentation de soi dans une image fixe.

Reprenant le stade du miroir de Lacan et l’articulant à sa théorie de l’image du corps, Françoise Dolto précise

C’est l’expérience du miroir qui donne à l’enfant le choc de saisir que son image du corps ne suffisait pas à répondre pour les autres de son être connu d’eux. Qu’elle n’est pas totale” Fr. Dolto, L’image inconsciente du corps

Le stade du miroir a donc pour effet de refouler l’image inconsciente du corps. Celle ci n’apparaitra plus que dans des éléments culturels tels que les mythes ou les arts. Dans la psychologie individuelle, elle fait retour dans les formations de l’inconscient que sont les symptômes et les rêves.

Le cyberespace nous offre a nouveau la possibilité de revivre des changements de forme sans fin. Nous ne sommes plus enfermés dans une apparence, nous pouvons prendre successivement des formes différentes et les formes que nous investissons sont au plus près de nos désirs conscients et inconscients. Les images par lesquelles nous nous représentons en ligne sont porteuses de ces dynamiques : nous sommes représentés par un animal, un couple ou un groupe, un personnage imaginaire, ou encore un paysage.

En soi, ces images symbolisent quelque chose. D’abord elles peuvent commémorer un événement – c’est l’identité-mémoire. Ensuite, elles nous permettent des représentations de groupe dans lesquelles les psychés sont communes ou partagées (une psyché dans plusieurs corps; plusieurs psychés dans le même corps) Enfin, elles peuvent nous rapprocher de l’environnement non humain.

Le fait que le cyberespace soit toujours ouvert à de nouvelles possibilités qui se superposent sans s’opposer (je suis ceci et cela, ici et là-bas) nous donne des occasions de nous représenter cette époque ou l’image du corps  En ce sens, le fonctionnement de l’Internet nous rapproche de celui du rêve en permettant de retrouver des modalités de penser très archaïques. les jeux avec l’identité et les changements de représentants nous ramènent aux étapes premières du narcissisme primaire (Cette régression au narcissisme primaire avait été pointée par Geneviève Lombard ) où la distinction entre le possible et l’impossible n’était pas clairement posée. On en trouve des traces lorsque l’enfant en colère imite un fauve, ou dans des états de déstructuration maniaque où la personne sent jouer une merveilleuse musculature sous chacun de ses mouvements. Etre ce que l’on souhaite, au moment ou on le souhaite, voilà une des promesses du cyberespace.