Au CERN, Tim Berners-Lee avait été confronté au Babel des machines, des systèmes d’information, et des programmes. L’information était éparse sur les ordinateurs des différents laboratoires et avant lui plusieurs projets avaient échoué à construire une solution cohérente. Tôt ou tard, l’information retombait dans la même anarchie et débordait tous les classements qui pouvaient être proposés. Lors de son premier passage au CERN en 1980, il écrit sur son temps libre, un programme qui l’aide à se retrouver dans le labyrinthe des personnes, des projets et des ordinateurs.

« Imaginons que toute l’information stockée sur les ordinateurs soit liée, pensais-je. Imaginons que je puisse programmer mon ordinateur pour créer un espace dans lequel tout pourrait être lié à tout. Chaque partie d’information dans chaque ordinateur du CERN, et de la planète, me serait accessible et accessible a n’importe qui d’autre. Il n’y aurait plus qu’un seul espace global d’information. Une fois qu’une information dans cet espace serait attachée à une adresse, je pourrais dire à mon ordinateur de la retrouver. En étant capable de faire facilement référence à n’importe quoi, un ordinateur pourrait représenter des associations entre des choses qui semblent être sans liens mais qui, en fait, partagent quelque chose de commun. Un réseau d’information en découlerait. » Tim Berners Lee, Weaving the Web

Le programme est une préfiguration du Web, et il le nomme Enquire d’après un de ses enthousiasme d’enfance. Plus jeune, il aimait se plonger dans un vieux livre, Enquire Within upon Everything, qui proposait des solutions à tous les problèmes, des taches sur les habits aux investissements boursiers. « Avec son titre évocateur de magie, le livre fonctionnait comme un portail à un monde d’information » et, précise Tim Berners Lee : « Pas une parfaite analogie du Web, mais un point de départ »

Avec Enquire, Tim Berners Lee commence à garder une trace de qui fait quoi, de quel programme tourne sur quelle machine, sur qui participe à quel projet. Chaque page fonctionne comme un « nœud » et la seule façon de créer un nouveau nœud était de le relier à un nœud préexistant. Chaque nœud affiche en bas de page les liens accessibles. Enquire a cependant un défaut : pour accéder à l’information il faut partir de la page de départ.

En septembre 1984, Tim Berners Lee reprend le chemin du CERN après avoir travaillé un moment à l’amélioration des imprimantes à aiguilles. Il emporte avec lui un ordinateur vanté comme portable mais qui lui semble plus « baggageable » tant elle ressemble à une machine à coudre. C’est avec elle qu’il écrit une nouvelle version de Enquire qui fonctionne à la fois sur son ordinateur et sur la machine qu’il a au laboratoire. Enquire a alors pour vocation de servir d’outil de documentation : il permettrait d’avoir accès aux articles des chercheurs, aux manuels des machines et des programmes, aux comptes rendus de réunion… Tim Berners-Lee sait que du fait de l’écheveau des hommes et des machines qui règne au CERN, un système de documentation ne serait pas efficace. Il lui faut un système dans lequel tout nouveau venu peut fait référence aux autres et dans lequel l’ajout de nouveaux nœuds est instantané et facile. Il lui faut donc un système qui soit décentralisé, et un système dans lequel les liens et les nœuds ont la même valeur .

Sur la suggestion de son supérieur, Mike Sendall, Tim Berners-Lee écrit une proposition dans laquelle il présente son idée d’un « espace informationnel ». Le principal obstacle à vaincre est la disparité des machines et des systèmes d’exploitation qui fonctionnent comme des frontières étanches. De Ben Segal, avec lequel il a travaillé sur un projet facilitant la communication entre ordinateurs ((Il s’agit du projet Remote Procedure Call (procédure d’appel à distance) permettant à un programmateur d’écrire un programme sur un ordinateur et d’en exécuter des procédures sur un autre ordinateur)), il a entendu parler de l’Internet et de la façon dont il permet a des universités d’être en lien. En Europe, l’Internet avait peine a percer du fait de le la mise en place par les européens de protocoles de communication spécifiques qui avaient pour vocation de concurrencer le protocole TCP/IP inventé par les américains.

Au CERN aussi, la guerre des protocoles fait rage. Elle oppose les unixiens qui donnent leur préférence au protocole TCP/IP et ceux qui se rangent a la norme ISO. Même si TCP/IP a la faveur de Tim Berners-Lee, il modifie RPC de façon à ce que le dialogue entre les deux communautés ne soit pas rompus. Il a un nom pour son système– world wide web – mais la première proposition ((cern.info.ch – Tim Berners-Lee’s proposal. (pas de date). . Retrouvé Août 2, 2009, de http://info.cern.ch/Proposal.html)) qu’il écrit en mars 1989, reste ignorée. Une seconde version est proposée en mai 1990 avec le même résultat. L’automne 1990 est consacré à l’écriture du langage HTML, du navigateur et du premier serveur web. La première page est disponible à la Noël 1990 à l’adresse info.cern.ch. et le projet WWW est annoncé sur Usenet en Août 1991 avec un laconique “Essayez le !” ((Berners-Lee, T. (pas de date). WorldWideWeb: Summary – alt.hypertext | Google Groupes. Retrouvé Mai 1, 2009, de http://groups.google.com/group/alt.hypertext/msg/395f282a67a1916c))

En quelques mois, le WWW en procédera : l’Internet s’est donné un nouvel espace, et cette fois ci il est vraiment « global » et « universel ». Sa croissance dépassera tout ce qui a pu être imaginé. «Nous savions que c’était grand » dira le moteur de recherche Google après avoir tenté un comptage des liens du web : mille milliards de liens en juillet 2008 ((Official Google Blog: We knew the web was big… (pas de date). . Retrouvé Août 3, 2009, de http://googleblog.blogspot.com/2008/07/we-knew-web-was-big.html.)).

Tim Berners-Lee offre une triple invention : l’adresse unique (Universal Ressource Identifier ((Devant l’opposition faite au terme « universal » Tim Berners-Lee donnera ensuite l’appellation suivante : Uniform Ressource Locator)) le Hyper Text Transfert Protocol (HTTP) et le Hypertext Markup Language (HTML). Le principe fondamental du WWW est qu’une fois mis en ligne, un document est accessible quelque l’ordinateur que l’on utilise et il devient possible de créer un lien vers ce document. Le HTML décrit comment formater les pages qui contiennent les liens hypertexte. Le navigateur décode les URLs, et permet à l’utilisateur de lire, écrire ou éditeur des pages web. Le langage HTML permet en effet de séparer la forme du contenu. Les données peuvent donc être exportées d’autant plus facilement qu’elles sont libres des contraintes de formatage. Des applications peuvent échanger automatiquement des données, les mélanger pour produire une nouvelle information. En devenant hypertextuelle, l’écriture s’est faite plus malléable. Pour la première fois après 5000 ans d’histoire, une écriture n’est plus attachée à son support.