Inside the Hive Mind

 

Je me souviens encore d’un temps où lorsque où les idées cheminaient longtemps en moi. J’en écrivais parfois quelque chose sur du papier ou avec un ordinateur, mais c’était uniquement à mon usage personnel. Aujourd’hui, avec le web, et surtout avec le Web 2.0 et les services de micro-blogging à la Twitter, les choses ont totalement changé. J’ai tendance à distribuer l’idée sur les réseaux à partir du moment ou une formulation suffisamment claire s’est fait en moi. Parfois, c’est même à l’occasion du partage que la formulation se précise.

Nos économies psychiques auraient-elles tendance à aller dans le sens d’une économie distribuée ? Vont-elles fonctionner comme des réseaux distribués dans lesquels les ressources ne sont pas centralisées.

Si cela devait être le cas, ce serait alors un grand changement car il touche à la manière dont nous pensons

Une grande partie de notre fonctionnement psychique repose sur le fait que nous avons établi des frontières claires et définitives entre nous et les autres. Ce que nous vivons dans l’enclos de nos pensées, nous seuls le savons, et nous le savons de façon certaine. .

En confiant à d’autres une pensée aussitôt que nous l’avons pensée, nous nous privons du moyen de la digérer à l’intérieur de notre appareil psychique. Les choses se passent comme si nous avions construit un rapport phobique à nos propres pensées. Penser, et penser longuement est devenu dangereux, et il nous faut donc nous débarrasser de nos objets psychiques au fur et à mesure de leur apparition. Qu’une émotion soit ressentie devant une émission de télévision et elle se retrouve  Gomiso. Quelque chose est pensé à propos de son vis à vis dans le métro ? Cela sera dit sur Twitter.

La version optimiste est d’en appeler à l’esprit de ruche ou à l’intelligence collective. Collectivement, nous élaborerions alors … mais quoi ? Le seul exemple que l’on ait pu trouvé à cette intelligence collective est Wikipédia. Mais Wikipédia ne produit pas du savoir : il le collecte et à cela, effectivement, le collectif est efficace. Mais cela n’est fait pas une intelligence.

Par ailleurs, les représentations qui courent sous cette intelligence collective sont bien trop proches de fantasmes pour que je leur porte un crédit autre que celui d’une  d’une représentation fantasmée : celui d’un  .essaim dans lequel les individualités disparaissent au profit de la toute puissance et de l’immortalité. Ce que les individus perdent au niveau du narcissisme, ils le récupère dans les idéalisations grandioses que procurent l’ensemble.

Ensuite parce que tous les groupes que j’ai vu fonctionner en ligne ont été bien plus habiles à mettre en jeu leur malveillance que leur intelligence. Il semble que le cyberespace ait la propriété de solliciter ce que nous avons, individuellement et collectivement, de plus malicieux. Si cela ouvre parfois sur quelques trouvailles, la malice est banalement du coté de la destructivité.

Enfin, parce que la distribution porte rarement des fruits. Ce qui n’a pas été maturé dans un appareil psychique ne le sera pas par n appareils psychiques. Les autres aussi sont tout autant affairés à expulser leurs idées, et sont sollicitées par beaucoup trop de sources d’excitation pour pourvoir se payer le luxe de réfléchir longuement à une situation.

Cette économie psychique distribuée  fonctionne sur des principes très archaïques.

1. L’incapacité à penser longuement une idée et le fait de la confier à d’autres comme on jette une bouteille à la mer fait penser à la situation du nourrisson qui attend que sa mère lui interprète ses états psychiques. C’est cette interprétation qui le sort d’états de confusion et d’angoisse . Mais le réseau n’est pas une mère. Les retours sont rares. Les objets qui ont été expulsé restent tels quels.

2. Les mécanismes de dépôt est aussi une indice d’un fonctionnement archaïque. Il ne s’agit pas seulement d’un espace de dépôt comme quand on gribouille sur une feuille de papier pendant une activité ennuyeuse. L’espace Internet est utilisé comme dépôt, mais aussi les autres êtres humains qui s’y trouvent. Le mécanisme psychologique en jeu est l’identification projective, c’est à dire l’utilisation d’espaces psychiques de l’autre à ses propres fins.

 

Il ne s’agit pas de renoncer à l’usage des réseaux sociaux mais simplement de rappeler que les anciennes façons de penser ont leur richesses. Ils serait dangereux de les abandonner avant d’avoir pu clairement évalué les avantages et les inconvénients des nouvelles façons de penser frayés par le réseau.

 

Crédit photo : Inside the Hive Mind par mumchancegaloot