J’ai été invité par Joyce Aïn à participer à la Tribune que CarMed organise au mois de Février autour de la violence. Février, c’est à la fois un peu loin et très proche, alors j’ai commencé à organiser un peu mes idées autour de ce thème. Trolls, virus, malwares, fakers, black hackers… voila quelques unes des figures de la violence en ligne
Y a t il sur le réseau une violence qui lui soit spécifique ? Je suis en tous cas frappé par la puissance des mouvements d’emprise qui peuvent s’y déployer. Quiconque a eu affaire à un troll ou a été pris dans une flaming war sait de quoi je parle : les échos de la conversation de s’arrêtent pas une fois l’ordinateur éteint. On est comme possédé, pris par la nécessité impérieuse de répondre, de ne pas laisser cette chose avoir le dernier mot, de fermer, enfin, le fil de la discussion ! C’est étonnant de voir comme on peut ressentir jusque dans son corps des interactions qui ont lieu par délégation.
La violence n’est pas fabriquée par le réseau : nous l’apportons avec nous. De tous les êtres vivants, nous sommes en effets, sans le moindre doute possible, les plus violents. Nos cultures se sont développées au prix de la destruction d’autres cultures, et nous avons toujours été sur le fil du rasoir. La catastrophe finale n’est jamais très loin.
En ligne, la violence peut être particulièrement brutale pour plusieurs raisons . Les mondes numériques prédisposent à la désintrication : on est ici et là-bas, en lien sans l’être tout à fait, dans des espaces qui n’ont pas de lieux. Ensuite, ils prédisposent à une certaine désinhibition : seul devant son écran on peut être amené a faire des choses que l’on ne ferait pas par ailleurs. Troisièmement, ces mondes sont aussi des espaces dans lesquels nous avons à organiser le lien à l’autre. Partout, nous sommes jetés les uns avec et contre les autres ce qui peut donner lieu à des modalités de liens qui peuvent être empreints d’emprise et de violence. Enfin, l’agressivité est le type de lien qui nous donne avec le plus de certitude la sensation que nous avons touché l’autre.
Violences en ligne abordera ces différents aspects de la vie en ligne à partir d’exemples.
bien d’accord.en plus après certains ont la culture de l’excuse “oui mais en ligne je suis pas pareil”. facile
“l’agressivité est le type de lien qui nous donne avec le plus de certitude la sensation que nous avons touché l’autre”
Voilà qui est très intéressant et qui sûrement m’interpelle. Je réfléchirai bien volontiers à cette question. Merci de l’avoir soulevée pour moi.
Je me demande dans un premier temps si cette sensation est effectivement prouvée, ou si elle est une illusion. Je veux dire par là, s’il y a effectivement un mécanisme de rétroaction que l’on peut observer qui expliquerait ce choix de l’agressivité pour toucher l’autre, plutôt qu’un autre type de lien (par exemple susciter l’émotion, la compassion, etc…).
Peut-être est-ce parce que l’agressivité appelle une réaction en miroir quasi automatiuque (l’agressivité suscite l’agressivité) et pas les autres formes de lien ?
Le problème va certainement se poser lorsqu’il va falloir qualifier une action comme violente ou non. Car chaque culture tolère des niveaux de violence différents qui portent sur des objets différents. Sous le Palais de cristal [cf. Sloterdijk] le seuil de violence est placé très bas. Aussi, on pense que qqs coups de fouets pour châtier une femme qui porte des pantalons, c’est l’horreur absolue…
On voit donc sur la franco-bloggosphère des mecs suffoquer de douleur parce qu’on les a simplement traités de connards. Au quotidien, je suis “violent” (selon les critères culturels – ethos communicatif – fr.) et donc sur la Toile je ne suis pas différent. Sauf que je pense que cela à moins de conséquences en ligne à cause la non-présence physique des protagonistes. Je suppose donc qu’en traitant de la violence, tu vas circonscrire ton analyse à la franco-sphère, Yann.
@Scheiro : mes exemple sont plutôt anglo-saxons. Je ne parle pas de l’enguelade en ligne. Je parle de harcèlement. Et les exemples que j’ai en tête montrent que la violence peut monter très haut. Prenons Boxxy par exemple. Voilà une jeune femme qui voit ses comptes youtube violés, qui a été menacée, parce que… Parce que quoi au fait ? Finalement personne n’en sait rien. Elle n’a tout simplement pas eu l’heur de plaire à Anonymous. La violence peut être si importante qu’elle est un des éléments de décompensation.
@Otir : je pense que dans le cyberespace, on voit plus facilement les “méchants” que les autres. D’ou la tendance au troll. L’autre aspect, c’est que l’agressivité a tendance à être moins ambigue. On dit /fait une vacherie et il n’y a pas photo. C’est là, c’est posé. Etre gentil en ligne, cela demande du tact, et on est jamais sur que cela “passe” sur le réseau. En fait, sur Internet, c’est la caricature des sentiments qui prévaut. On dirait qu’il faut que ce soit GROS pour que cela soit ressenti par l’autre
@Yann Entièrement d’accord, c’est l’effet de “dramatisation”, comme sur une scène de théâtre, en fait, non ? Il n’y a pas de place pour la subtilité, ou bien elle nécessite d’être tellement explicitée qu’elle ne rentre guère dans la sphère de l’immédiateté que propose justement Internet.
Il y a donc le phénomène de l’immédiateté, mais aussi celui de la démultiplication, le phénomène “caisse de résonnance” : la violence peut-être répercutée parce que le réseau permet l’écho.
Le murmure de la subtilité ne bénéficie pas du même traitement, parce que s’il touche un individu, celui-ci ne sera pas nécessairement enclin à répercuter ce qu’il a ressenti. Sauf si ce qu’il ressent l’enthousiasme véritablement.
Je vais suivre avec attention le développement de tes réflexions sur le sujet !
Bon, d’accord tu parles de violence à un niveau où je la conçois aussi comme telle.
Je me demande si l’emphase des sentiments n’est pas liée à la rédaction des commentaires qui sont généralement des messages courts, ce qui oblige l’émetteur à signifier son humeur de manière essentiellement abrupte; mais je vois qu’Otir va dans le même sens en parlant de théâtralisation des échanges interpersonnels. Mais dans la vie au quotidien le même phénomène se produit puisque Goffman dit de les relations entre individus se déroulent selon les codes d’une mise en scène: “l’acteur doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine impression “.