Les communautés en ligne naissent, vivent et meurent dans le cyberespace. Cette vie suit de grandes étapes qui sont toujours les même, quelque soit le dispositif utilisé. De Usenet aux groupes Facebook en passant par les listes de diffusion, la vie des groupes en ligne suit ces 5 grandes étapes.
Les dynamiques qui sont ici décrites tiennent compte des connaissances issues de la psychanalyse des groupes. A coté la la pratique un à un qu’on lui connait, la psychanalyse a exploré la vie des groupes. Freud en avait donné le point de départ avec sa Psychologie des foules (1921). La pratique et la théorie ont été développés principalement par Pichon Rivière, W. R. Bion , J. Bleger, D. Anzieu et René Kaës.
Pourquoi certaines communautés sont florissantes alors que d’autre vivotent ? Pourquoi certaines résistent aux attaques alors que d’autres s’effondrent a la première modification ? Pourquoi certaines communautés déclinent inexorablement ? Il n’est pas de réponses unique a cette question. Par exemple, il est assez évident que le design du groupe est important. L’inscription au groupe peut être nécessaire ou pas, elle peut nécessiter plusieurs étapes ou pas, certains champs sont nécessaires ou pas. Chacune de ces options donne un groupe particulier.Un autre élément important est la possibilité d’importer ou d’exporter des contenus. Ces éléments de design déterminent la facilité d’entrée dans le groupe et ses frontières, soit deux xxx extrêmement importantes dans la vie des groupes. En effet, tout groupe a besoin de frontières qui définissent ce qui n’est pas lui et tout groupe a besoin de contrôler ce qui entre et ce qui sort.
Le code c’est la loi
On touche là une à deux éléments. D’abord, les groupes en ligne sont indissociables de leurs environnements numériques : le code en est à la fois le fond et le cadre. Le code déterminera et contrôlera vos accès en lecture et en écriture. Il fait de vous un administrateur ou un membre. Il introduit des différences qui devront être intégrées a la vie du groupe. Par exemple, la position d’admin fera envie et certains tenteront d’y accéder, tandis que d’autres n’auront de cesse d’attaquer cette image d’une figure d’autorité.
La vie imaginaire et inconsciente des communautés en ligne
On touche là à la vie inconsciente et imaginaire du groupe. Si un groupe a besoin de ces mesures de contrôle, c’est parce l’entrée et la sortie sont une charge de travail psychique. Elles sont associées a des fantasmes (de pénétration, d’intrusion, de perte, de délestage…) et à des réaménagement des liens des membres entre eux. La vie groupale est caractérisée par la mise en commun et parfois en résonance de fantasmes et de [W:mécanismes de défense] inconscients
En linge ou hors ligne, la rencontre de plus de deux personnes produit des effets de groupe Ces effets sont instantanés et inconscients. Les individus se combinent selon des états affectifs archaïques. Ces états affectifs correspondent à la vie inconsciente et imaginaire du groupe et interagissent avec la vie consciente et rationnel du groupe. Cette interaction peut favoriser ou empêcher les taches que le groupe se donne consciemment.C’est elle qui est à l’origine de la construction des cathédrales et des bazars. La vie du groupe est en effet partagée entre une vie consciente et rationnelle et une vie inconsciente. Les deux niveaux interagissent avec des effets de synergie et de freinage..
Etre dans un groupe, c’est voir et sentir au travers d’une mentalité de groupe. Cette mentalité est l’ensemble des représentations, de construction et de défenses plus ou moins conscientes qui déterminent le groupe. Cette mentalité s’organisent autour d’hypothèses de base (W. R. Bion)
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dépendance : le groupe demande à être protégé par une leader dont il attend sa nourriture intellectuelle ou spirituelle. Le bon l
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attaque-fuite : le groupe se réunit pour combattre ou fuir un ennemi vécu comme étranger au groupe et donc persécuteur
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couplage : dans le groupe, un couple est vécu comme représentant parental idéal. Le groupe a vis à vis de ce couple des attentes messianiques.
Les cylces de vie des communautés en ligne
De la vie à la mort, les communautés en ligne passent pas plusieurs étapes.
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Un désir fondateur
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Développement
Les conflits qui jusqu’a présent étaient tenus à l’écart de la communauté commencent à apparaitre. Dans le groupe, certains membres commencent à avoir rôle prééminent. La communauté commence à s’organiser autour des visibles – les personnes qui écrivent – et les invisibles – ceux qui n’écrivent pas. C’est un premier pôle d’équilibre trouvé par la communauté, car le groupe deviendrait illisible si tout le monde écrivait. Parmi ceux qui écrivent, d’autres différenciations commencent à apparaitre. Il y a ceux qui ouvrent les conversations ou qui apportent un contenu qui vient de l’extérieur du groupe. Il y a aussi ceux qui les commentent.
Le groupe doit aménager la multitude des membres et des contenus. Deux modèles entre en concurrence. Le premier est celui des [W:zerg] : l’espace groupal est peu contrôlé. Entrent et sortent qui veulent et le groupe semble n’avoir d’autre objectif que celui d’augmenter sa taille. Le second privilégie la haute spécialisation des membres. Ce sont des Über groupes dans lesquels des membres différents apportent chacun leurs compétences. La plupart du temps, les groupes en ligne mélangent ces deux types d’appareillage. La répartition topographique des membres se fait alors en fonction de leur spécialisation. Au centre, les membres éminents. A la périphérie, les zergs dont certains souhaitent s’approcher du centre; la plupart sont des lurkeurs. Zergs et über groupes correspondent a deux types d’appareillage groupal. Le premier est dit isomorphique. Il identifie les appareils psychiques individuels et l’appareil psychique groupal. Le second est dit homophorphique, et il laisse plus de place aux différences inter-individuelles. Le groupe oscille entre des moments d’aide mutuelle, de transmission et des moments dec crise ou le groupe prend la forme des 7 cercles de l’enfer. -
Crises La différenciation apporte la possibilité de conflits. Ceux ci se déroulent a propos des frontières – qui est dedans, qui est dehors – ou des personnes – quelle est leur autorité ? Ces crises sont pour la plupart bénignes, mais certaines sont plus dangereuses car elles sont alimentées par des trolls. Le troll est une personne qui utilise la conversation contre la conversation, le groupe contre le groupe, la règle contre la règle. Son seul but est de mettre en œuvre des processus de déliaison et d’assister au délitement du groupe. De la même façon qu’Anté retrouvait tout sa force lorsqu’il touchait sa mère la terre, le troll devient de plus en plus puissant au fur et a mesure que le conflit enfle. En soi, les crises sont normales. Un groupe qui est incapable de connaitre des conflits est un groupe malade : il est pris dans des mécanismes extrêmement rigides qui ne lui permettent plus de prendre en compte la différence.
En ligne, ces crises prennent la forme des fameuses flame wars. Tout peut être l’occasion d’une dispute : l’orthographe, les règles du groupe, les différences entre les membres, le spam… Du point de vue du groupe de base, tout événement est investi aussi dans sa valeur inconsciente. Ainsi, le groupe peut se plaindre des trolls et secrètement apprécier leurs attaques sur les représentants parentaux que sont les leaders. L’agitation qu’ils suscitent peut aussi être bienvenue parce qu’elle apporte de l’animation et sert donc de défenses contre-dépressives.
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Destruction
Il arrive que les communautés en ligne meurent. Certaines succombent à une flame war de trop. D’autre se vident lentement de leurs membres. D’autres enfin s’effondrent sur elle même. Le groupe ne produit pas suffisamment de contenu est finit par s’éteindre. Du point de vue imaginaire et inconscient, le groupe est devenus insuffisamment nourrissant et les leaders pas assez protecteurs. La baisse de l’activité du groupe, le départ des anciens, l’arrivée insuffisante de nouveau constituent de puissants motifs de dépression : le groupe se vide ! Les nouveaux venus trouvent un groupe qui ne dispose plus de la vitalité suffisante pour les former
Intéressant. Ça me rappelle l’histoire d’un groupe en ligne que tu as bien connu et dont je crois retrouver ici des éléments :) J’espère d’ailleurs bientôt pouvoir en publier l’histoire, dans un article dont le titre est : « Il était une fois “pp7” ou la naissance d’un groupe sur l’Internet : retour sur la socialisation en ligne d’une communauté étudiante ». Seul truc qui manque dans ton article : c’est quoi la 5ème étape ? Tu annonces 5 étapes mais il y en a que 4.
Tant mieux si tu t”y retrouve, cela veut dire que ces étapes sont assez générales
Pour ton texte, je lui trouverai une place !
Merci pour cet article éclairant que je m’empresse de tweeter à ma communauté ;-)
En résumant, c’est très totémique freudien…
@Yann: trouver une place à mon texte ? tu peux m’en dire plus :)
Il a sa place comme chapitre dans un livre. Je n’ai plus de nouvelles de l’éditeur qui était interresse pas Mondes Numeriques. Je me sens donc libre de le proposer – avec ton accord- a FYP pour matières numériques|a penser. Il faut que tu penses aussi si tu preferes le publier dans un livre a ton nom ou si tu préférés le publier dans unouvrage collectif.
Ce bon sujet de la vie inconsciente des groupes virtuels est aujourd’hui rarement abordé, hélas : ni dans la littérature managériale ni dans la scientifique.
Beaucoup de seniors comme moi ont baigné dans la réflexion et la formation sur la dynamique de groupe dans les années 1970′ : ils sont en attente d’une actualisation de ce corpus, puisque les psychologies et les outils ont beaucoup changé.
Les éléments de lecture compréhensive des interactions entre membres sont à renouveler en l’absence de la communication visuelle qui joue un grand rôle dans la régulation d’un groupe : chacun développe alors un imaginaire de ce qui se passe dans le groupe, et ces imaginaires communiquent mal entre eux.
Par ailleurs, des savoirs pratiques sur les manières de susciter les échanges, la participation et l’engagement dans les communautés virtuelles se sont développés : ils mériteraient de recevoir l’éclairage des approches psychosociologiques.
Les rôles des Community Managers dans ces registres devraient certainement être mieux analysés.
Il restera bien sûr plusieurs manières de “raconter l’histoire” : cela n’en sera que plus intéressant. On aura ainsi une boucle autoréférente avec la théorie du storytelling !