Autour de 10.000 avant Jésus Christ, après 65.000 ans de vie nomade, les hommes se sédentarisent. L’invention de l’agriculture et de la ville modifient profondément les structures sociales et les imaginaires. Les premières sociétés humaines étaient organisées autour de la figure du Trickser c’est à dire un être ambigu, amoral, trompeur, habile à inverser les situations et à changer de forme mais aussi bricoleur expert, inventeur de nombreux arts et techniques. Mais il est aussi un indécrottable bouffon obscène et lubrique. Sous les traits du Trickster on devine ceux du chaman et du chasseur. Avec la ville, la figure du Trickster est refoulée par celle du Guerrier et du Patriarche.
L’imaginaire des mondes numériques est-il en train de suivre une évolution similaire ? Pendant longtemps, le cybersespace a été perçu et construit comme un espace de liberté. Nous étions des internautes, c’est à dire de navigateurs de l’Internet, L’espace se donnait comme un seul tenant, conformément au vœu de Tim Berners-Lee : chaque document devait pouvoir être accessible d’ou que l’on se trouve sur l’Internet.
Les mondes numériques étaient construits à l’aide de hacks et de tricks. Chacun était libre d’apporter à la communauté ses inventions, et nul ne pouvait imposer aux autres l’utilisation d’un outil. Les communautés des premiers digiborigènes fonctionnaient sur le même mode que les premières communautés humaines. Toutes deux vivaient avec une matière première abondantes, toutes deux privilégiaient la débrouillardise et le bricolage, toutes deux organisaient leur imaginaire autour du même héro : le Trickster.
Le WWW de Tim Berners-Lee est au départ un bricolage réalisé pour créer un base documentaire au CERN. Les digiborigènes font du hack une opération presque sacrée, un bricolage dont on ne comprend pas tout à fait les tenants et les aboutissants. Les hackers sont de ce fait à la fois révérés et craints. Ils tiennent à la fois des magiciens dont ils portent le chapeau (ce sont des “white/black hats”). Les administrateurs des serveurs sont des wizards, car ils effectuent banalement des opérations de grande puissance. Matt Zuckernberg est un hacker : c’est par un tour de passe passe qu’il crée le premier Facebook. Mais c’est aussi un Trickster, car il ne respecte pas la parole donnée. Il trompe, ment, et vole ses partenaires sans vergogne, du moins si l’on en croit The Social Network.. Cet aspect se retrouve aussi chez Tim Berners Lee qui n’hésite pas à mentir pour imposer son WWW et tuer dans l’œuf le concurrent Gopher. Steve Jobs, le magicien des keynotes, est aussi habile a faire passer des prisons dorées pour des espaces de liberté.
Zuckenberg, Berners-Lee et Jobs ont contribué à créer des mondes. Ils sont porteurs de nouveauté et de culture. Ils sont des travailleurs de l’articulation au sens ou ils joignent ensemble ce qui était épars. De ce fait, ils font changer de forme l’ensemble en faisant apparaitre de nouvelle frontières et en questionnant les anciennes frontières.
Parfois, les nouvelles formes mettent en péril le monde même qui a permis leur émergence. De la même manière que le Trickster se fait piéger par le filet qu’il vient d’inventer, la multiplication des boites de login qui fleurissent depuis le Web 2.0 morcèlent et mettent en danger le web tout entier. Ainsi, si les hacks et les tricks continuent de bâtir le cyberespace, on voit se mettre en place d’autres modalités de construction autour non plus de l’échange mais de la propriété. L’espace n’est plus un espace parcouru librement, mais un espace délimité par des domaines contrôlés par des tiers. Ironiquement e territoire fait surface dans le cybersespace, alors même que le cyberespace était au départ construit comme un remède aux maux de la territorialité.
Les réseaux sociaux sont des équivalents en ligne des villes inventées en Mésopotamie il y a 10.000 ans. Ce sont des lieux d’accumulation, de commerce et de distribution des richesses. les réseaux sociaux nous ont apporté de nouvelles manières de voir le monde (numérique) et de nouvelles manières de l’aménager. Avec ces nouvelles pratiques de l’espace, vient aussi une nouvelle figure : le Patriarche.
Les premiers Tricksers ont eux même initié ce virage. Zuckerberg et Jobs sont des Héros-Guerriers dont les aventures ont largement été suivies par les digiborigènes. ils sont devenus des Patriarches, régnant sur d’immenses empires numériques dont les chiffres sont prononcés régulièrement avec crainte et respect (Facebook, 800 millions d’utilisateurs etc.) Le décès de Jobs a donné lieu à des manifestations révélant la nature religieuse du lien qui l’unit aux clients de la marque Apple. D’autres Patriarches apparaissent, sans lien avec l’ancienne figure du Trickster.
C’est le cas de l’éditeur Gallimard qui fait valoir ses droit sur la traduction que François Bon a fait du livre de H. Hemingway, Le vieil homme et la mer. L’éditeur est ici en place de Patriarche. Il clame ses droits sur quelque chose qu’il possède. Sa logique est celle de l’accumulation et de la propriété. François Bon est un Trickster. Il est traducteur-transformateur d’une matière numérique. Sa logique est celle de la diffusion et du contrefacteur. Cela fait de lui un porte-culture.
Une introduction stimulante, mais on en attend plus, beaucoup plus ! Portez la réflexion plus loin !
Un livre sur le sujet (non encore lu par moi) : “La théorie du Trickster” de Mehdi Belhaj Kacem. L’auteur ne semble pas très tendre avec les tricksters.
Merci pour vos articles toujours intéressants. J’ai vu que vous avez écrit à propos d’hétérotopies… Je me permets de vous signaler mon article sur le même sujet sur la revue en ligne Sens Public “Voir l’invisible : Gygès et la pornographie facebook”. J’ai une idée un peu différente du le sens de l’hétérotopie par rapport au web.
Voilà le lien vers l’article de Marcello : Voir l’invisible : Gygès et la pornographie Facebook. http://www.sens-public.org/spip.php?article912
A ajouter aux textes de réflexion sur l’Internet.