Alors que Facebook semble aujourd’hui être le centre de l’Internet, on a tendance à oublier que d’autres dispositifs ont pu jouer un rôle dans des crises passées. Facebook et Twitter sont donc plus a prendre comme un état actuel. Ils ont été utilisés non pas parce que ce sont des réseaux sociaux, mais parce qu’ils sont des dispositifs de communication. A d’autres époques, d’autres personnes ont utilisé d’autres dispositifs.
Créé en 1979 par quatre bricoleurs unixiens, Usenet devient vite le point central de l’Internet. Le volume des données échangées double chaque année depuis sa création. Les newsgroups deviennent en quelques mois la Rome des mondes numériques. Tous les chemins y mènent, et le réseau est un exemple vibrant de ce que peut être la vie sociale en ligne, qu’il s’agisse de prises de positions citoyennes, de la diffusion de nouvelles concernant les mondes où les cultures numériques.
Usenet jouera un rôle comparable au rôle joué par les réseaux sociaux lors du Printemps Arabe au moment de la crise soviétique du début des années 1990.
En Août 1991, lorsque des communistes conservateurs tentent de déposer Mikhail Gorbatchev, l’URSS retrouve ses anciens réflexes. Un rideau de fer tombe sur sur les média. La télévision et la radio sont brouillés ou sévèrement censurés. A la télévision, le citoyen soviétique peut suivre de longs opéras, mais rien de lui est dit de ce qu’il peut voir par sa fenêtre Un seul média échappe à la censure : Internet. Les groupes de discussion de Usenet servent d’interface avec le monde. ils diffusent vers l’extérieur ce qui se passe dans le pays et rendent compte de la façon dont l’ouest perçoit les évènements.
Cela est rendu possible grâce au travail effectué par des personnes travaillant dans le seul Fournisseur d’Accès Internet commercial soviétique. Au moment du coup d’état, l’Internet soviétique en est encore à ses débuts. Les internautes ont le choix entre 7 domaines pour ce qui concerne le courrier électronique, et une soixantaine de forums Fidonet. Il n’y a que Relcom qui donne un accès véritable à l’Internet. L’entreprise a été fondée par quelques aventuriers au moment ou l’URSS s’entrouvre à l’économie de marché. En 1991, ils connectent 391 organisations dans 70 villes de Saint Petersbourg à Vladisvostok. Pour faire fonctionner le service, les techniciens bricolent avec les moyens du bord. La plupart des accès se font sur des lignes téléphoniques banales et les serveurs tournent sur des machines vieilles de plus de 10 ans. Une fois par heure, Relcom se connecte à EUnet en Finlande. A chaque connexion, 30 MB de nouvelles fraiches de l’ouest sont téléchargées et distribuées sur le réseau Relcom. La Finlande a un lien direct avec mcvax, la machine historique qui connecte l’Europe à l’Internet. Aussi, à chaque fois que les serveurs de Relcom appellent la Finlande, ils sniffent des bits d’information qui sont au cœur de l’Internet. La même opération est répétée quatre fois par jours avec la Norvège et une fois par jour avec la Hongrie.
Relcom est un enfant de la Glasnost. Et lorsque Mikhail Gorbatchov se retrouve en difficulté, le réseau lui apporte tout le soutien possible. Alors que les stations de radio et les chaines de télévision sont interrompues ou brouillées, le seul accès libre à l’information est Internet. Le groupe de discussion talk.politics.soviet sur Usenet devient un lieu vibrant d’échanges. Les arrêtés de défiance de Boris Yeltsine sont mis en ligne et traduits en anglais. La fréquentation du groupe augmente tant que les serveurs de Realcom peinent à assurer le trafic. Malgré l’avertissement de Vadim Antonox – « s’il vous plait, arrêtez d’inonder le seul canal avec des faux messages et des questions idiotes. Ce n’est ni un jouet, ni un moyen d’avoir des nouvelles de vos parents et amis. Nous avons besoin de la bande passante pour aider à organiser la résistance. S’il vous plait, n’aidez pas, même intentionnellement, ces fascistes » le service doit être arrêté pendant quelques heures.
L’aspiration quotidienne des données de mcvax devient vitale. Elle permet de faire passer vers le monde libre des états de la situation et d’avoir une idée, via quelques correspondants, de la façon dont les évènements sont perçus à l’ouest. En URSS, des citoyens font spontanément état de ce qu’ils voient. Des rapports de situation arrivent de Kiev ou de Nizhniy Novgorod. Des images des chars dans les rues de Moscou sont mises en ligne. Craignant une descente des autorités, les techniciens de Relcom s’organisent pour décentraliser leur réseau. La solidarité des unixiens joue à plein et des machines du réseau EUnet sont mise en réserve en Norvège. Les hollandais de l’Institut de Recherche Spatiale proposent leurs machines, mais elles sont bloquées par la NASA.
Usenet ne jouera pas un rôle majeur dans cette crise. Mais les newsgroups ont permis à quelques personnes de ne pas vivre dans un sentiment de solitude et de se retrouver, de la même manière que Facebook et Twitter ont permis lors des crises arabes à des personnes de se sentir en lien dans des moments extrêmement difficiles.
J’en avais jamais entendu parler, peut-être du à mon petit âge! Mais habituellement j’ai une bonne culture. Bref, très intéressant, comme tout le reste du blog! Merci beaucoup pour ces articles!
Je ne connaissais pas non plus cette histoire, super intéressant en tout cas !