Les objets luisaient doucement près de la tente du camp tauren. Rastofire s’en approcha lentement et se baissa pour les ramasser lorsqu’elle aperçu un orc sur sa monture volante se précipiter dans sa direction. Sans un mot, l’orc sauta de sa monture, la bouscula, ramassa les œufs et se remis en selle. Il s’arrêta un moment pour la regarder, et Rastofire fut saisie par tant de puissance. Rastofire eu le temps de voir les indices de puissance du guerrier : le bouclier jeté dans son dos, l’épée sagement rangée dans son fourreau, le dragon… tout signalait l’excellence. Son titre flottait au dessus de sa tête : « Seigneur de guerre ». Un « haut level », pour sûr ! Rastofire jeta un regard circulaire. Elle qui pensait fait tranquillement sa quête ! Il y avait des haut level partout qui se précipitaient vers le moindre éclat qui pouvait indiquer la présence des précieux objets. Enfin, elle réussit à mettre la main sur l’un d’entre eux. Elle mis doucement l’œuf dans son panier et elle eut envie de crier : « J’en ai un ! » et sur son écran le haut fait s’afficha

 

Qu’est ce qui peut pousser des personnes à faire à passer autant de temps pour faire une chose aussi insignifiante que ramasser des œufs de pâques ? Pas ramasser des œufs avec une joyeuse bande d’enfants excités. Il n’y a pas ici de joyeuse bande d’enfants ni pas de cris d’excitation. Il n’y a ici aucun œuf puisque les choses se passent dans World of Warcraft. Même dans la logique du jeu, la conduite est assez étrange. Comment expliquer que des personnes prennent 20 minutes de leur temps pour faire quelque chose qui ne leur rapporte rien d’autre qu’une mention sur leur personnage. Ici, pas de récompense épique, pas de pièce d’or, pas d’arme extraordinaire, pas de point d’expérience. Rien que le haut fait « j’en ai un ! »

Un début de réponse est donné par Jill Walker dans « A network of quests in World of Warcraft ». La première raison est que les quêtes sont en fait des dispositifs d’apprentissage. Les quêtes permettent en effet aux joueurs de se familiariser avec une fonction du jeu – par exemple, aller acheter un objet auprès d’un Personnage Non Joueur. Elles permettent également de découvrir de nouvelles zones comme c’est le cas lorsqu’un PNJ envoie le héros explorer une région.

Mais ce ne sont pas ces mécanismes qui sont ici en jeu. Ce qui est en jeu, ce n’est pas la quête en soi mais le fait qu’elle soit prise dans un ensemble. Elle dessinent un réseau d’histoire qui apparait petit à petit. Les petites et les grandes histoires de World of Warcraft ne s’imposent jamais au joueur. C’est lui qui va vers elles en ouvrant son livre de quêtes pendant les temps morts du jeu –lors d’un transfert aérien, par exemple – ou lorsqu’il cherche une information pour réaliser une quête.

Le réseau des quêtes donne du relief au monde d’Azeroth. Il le transforme en un espace tangible, avec des personnages que l’on connait et que l’on prend plaisir à retrouver. Certaines quêtes, parce que saisonnières, deviennent en soi des pratiquement des personnages. Ainsi, chaque été, chaque Héros peut retrouver les anciens rites et célébrer le solstice. Le Haut Fait « J’en ai un ! » qui conduit des héros ayant vaincu les dragons les plus dangereux d’Azeroth a se conduire comme des enfants en est un autre exemple. .

World of Warcraft offre un maillage serré de quêtes qui mettent le joueur au contact de l’histoire et de la géographie d’Azeroth. Pour Jill Walker  World of Warcraft est à l’image du monde dans lequel nous vivons. Les quêtes prises une à une correspondent à la fragmentation de nos activités : « Nous écrivons et lisons des emails et des blogs plutôt que des romans, nous écoutons des chansons de 4-6 minutes plutôt que des symphonies, nous écoutons des morceaux d’information de 30 secondes Nous dévorons ces fragments, nous en butions des centaines par jour, et nous y retournons souvent, parfois juste quelques minutes sur un sujet, un blog, ou une actu,, mais nous y retournons encore et encore. Cette fragmentation ne signifie pas nécessairement que nous sommes plus superficiels. Nous y retournons encore et encore, et l’accumulation de ces expériences fragmentées peut être aussi profonde qu’une exposition unique et prolongée à quelque chose

Cette structure en réseau n’est pas une simple image de la fragmentation moderne. Elle pourrait aussi être son exact opposé : « Un jeu est un réseau de fragments. Il n’est pas nécessaire pour la plupart d’entrer d’expérimenter le jeu dans sa totalité et pourtant d’accéder à la riche expérience d’une narration. » L’histoire de World of Warcraft a déjà donné lieu à plusieurs romans et bande-dessinées. Il y a là plus de 2500 pages d’héroic fantasy détaillant les histoires de Thrall, ou d’Arthas, racontant les premiers moments de la horde et de l’alliance, racontant les traités et les traitrises, les héroïsme et les lâchetés. Cette histoire encadre l’expérience de jeu mais elles ne s’imposent jamais aux joueurs qui n’ont pas à la connaitre pour prendre du plaisir à jouer. Ce sont les joueurs qui vont vers elles en ouvrant le livre de quêtes pendant les temps morts du jeu – lors d’un transfert aérien, par exemple.

Ainsi, là ou certains ne voient que morcèlement et se plaignent comme Nicholas Carr  de leur capacité perdue à lire des textes long, on pourra voir forme de la pensée pluraliste (Deleuze). Les pratiques de jeu, tout comme les pratiques dans les mondes numériques sont en fait une forme d’écriture et de lecture pas moins riches et valables que d’autres. Elle ne sont même pas d’une si grande modernité : rappelons nous Roland Barthes qui Barthes qui papillonnait bien avant que les browsers existent: « travaillant à la campagne (à quoi ? à me relire, hélas !), voici la liste des diversions que je suscite toutes les cinq minutes : vaporiser une mouche, me couper les ongles, manger une prune, aller pisser, vérifier si l’eau est toujours boueuse (il y a eu une panne d’eau aujourd’hui), aller chez le pharmacien, descendre au jardin voir combien de brugnons ont mûri sur l’arbre, regarder le journal de radio, bricoler un dispositif pour tenir mes paperolles, etc. : je drague » (Barthes, 1995)