cat_reverend_slave-posterQu’est-ce-que Second Life ? La vie rêvée ? Un endroit ou l’on peut se laisser aller à des addictions impossibles à réaliser dans l’espace ordinaire ? La promesse d’un nouveau corps plus conforme à ce que l’on est ou à ce que l’on voudrait être ? Des occasions de disputes conjugales ? Un espace social ou l’on peut trouver une femme ? La retrouver ?  La perdre ? La possibilité de s’inventer une nouvelle identité ? D’être vraiment soi ? Une nouvelle frontière ? Un lieu de débauche et de perdition ? Un lieu ou sauver les âmes ? Une utopie ? Le Royaume de Dieu ou moins un endroit ou chacun peut Le rencontrer ?

Le documentaire The Cat, the Reverend and the Slave de  Alain Della Negra et Kaori Kinoshita croise toutes ces questions au travers d’une galerie de portraits d’utilisateurs américains de Second Life. Signe des temps, il n’est plus question de “virtuel” : Second Life a obtenu une réalité que plus personne ne lui dispute. Ce qui est mis en évidence, c’est bien plutôt la relation que les utilisateurs établissent avec l’environnement en ligne et les autres utilisateurs

 

Il y a une question qui revient avec insistance dans le documentaire. C’est celle de la perversion. Elle se pose avec les figures des Goréens et des furries. Goreens et furries ne sont pas propres à Second Live. Ce ne sont même pas des créatures des mondes numériques. Ce sont des immigrants.

Les Goréens viennent des romans de John Norman, Les livres du cycle de Gor. tandis que les furries viennent d’un des cœurs de la culture geek : le cosplay ((sur la culture geek, voir de travail de David Peyron)). La vie des goréens est réglée de bout en bout. Un système de caste ordonne les places de chacun tandis que le sado masochisme règle leur vie sexuelle. La société décrite par Norman peut être une fantaisie plaisante tant qu’elle reste dans un livre. Elle est assurément une pathologie dès lors que l’on tente de l’appliquer dans la réalité. Mais pour ce qui est de  Second Life ?

Les Goréens posent des questions sur ce que l’on appelle “réalité”. Etre maitre de la vie sexuelle de quelqu’un dans Second Life est-ce encore un jeu ou pas ? Comment peut-on avoir une relation sexuelle dans Second Life ? On a un début de réponse si l’on garde présent à l’esprit qu’Il y a dans toute relation sexuelle une part de violence  Dès lors que l’on transpose en ligne les relations sexuelles, cette part ne peut qu’être encore plus importante puisque la rencontre dans corps-à-corps ne peut avoir lieu. Sans étreinte, il ne subsiste donc de l’acte sexuel que ses aspects d’emprise et de domination. En ligne, la sexualité est d’abord une affaire de pouvoir et de domination parce que saisir l’autre n’est pas possible..

Les furries viennent  sont des émanations de la culture populaire. Ils procèdent des dessins animés des années 1970. Le mot “furry” s’impose dans les années 1990 pour désigner toute expression dans laquelle des humains incarnent des animaux, principalement des mammifères. Du fait de l’imaginaire de la vénus à la fourrure, on ne sera pas étonner de retrouver chez les furries les relations maitre-esclave que pratiquent les Goréens

Au moins deux hypothèses peuvent être faites à propos des furries

Les furries sont un avatar de l’objet transitionnel. Le destin des objets transitionnels est normalement de disparaitre comme ils sont arrivés. L’enfant, après avoir aimé passionnément son objet transitionnel, l’abandonne dans un coin. Cela lui est possible parce qu’il a suffisamment intériorisé ce dont l’objet transitionnel était porteur : la capacité à être seul. Dans le cas des furries, qu’il s’agisse de ceux de Second Life ou des furrysuiters, la personne est dans l’objet. Ce qui est mis en avant, c’est moins le fait de contenir une image psychique d’un objet absent que d’être contenu par un objet dans la réalité.

Les furries sont un travail autour de l’identité. Les furries sont autant d’occasion de travail psychique. Ils sont une mise au dehors d’une identité.. Ce sont des outils qui permettent de mieux se connaitre et de rencontrer les autres. Enfin, c’est une manière d’explorer des fantaisies personnelles. Certains fury sont porteurs d’agressivité, tandis que d’autres sont porteurs d’images de douceur. D’autres sont endossés parce qu’ils ont dans la communauté des hommes une mauvaise réputation. Le furry peut tout aussi bien être un modèle, un idéal, que ce que l’on cache au plus profond de soi.

 

Goréens et Furries sont des immigrants de Second Life. Il viennent de nos imaginaire, de nos espaces psychiques individuels et collectifs. Ils sont précieux car ils portent des stigmates de leurs pays d’origine. Il nous disent qui nous sommes.