Il y a des matin ou les vieux rêves se sont plus présents. J’ai souvent rêvé que la communauté de chercheurs francophone utilise massivement les ressources de l’internet. Comme j’ai le rêve et égoïste, je ne me préoccupe que des chercheurs en sciences humaines et sociales, et parfois, mon rêve se rétrécit même jusqu’au ne prendre en compte que les chercheurs qui fouillent les matières numériques.
Je rêve d’une communauté de chercheurs indexant les pages qu’ils trouvent intéressantes. Je rêve de curateurs maintenant des pages sur Scoop.it et curated.by. Je rêve de groupes sur Diigo et Delicious. Je rêve de publications libres, creative commons. Je rêve de discussions sur Mendeley. Je rêve de blogosphères vibrantes, publiant des articles sur l’actualité de chacun et des disciplines. Je rêve d’échanges de blogs en blogs, de chercheurs à chercheurs, de disciplines à disciplines
L’internet en soi procède déjà du rêve de quelques personnes : J. C. R. Licklider, Tim Berners Lee ou Ted Nelson ont rêvé du réseau avant qu’il se mette en place. Certains rêves ont abouti, d’autres non. Beaucoup de ces rêveurs étaient des universitaires qui entrevoyaient les immenses possibilités que le réseau apportait à la connaissance. Ils avaient prévu des dispositifs qui permettraient a chacun de trouver l’aiguille d’or dans la meule de foin. Pourquoi perdre du temps sut Facebook ? Pourquoi tenir un blog alors que l’on a déjà un travail d’écriture à tenir ? Pourquoi être sur Internet ?
Il était difficile il y a 30 ans de retrouver des informations sur les ordinateurs du CERN. La situation est encore plus complexe avec le web d’aujourd’hui. Cela amène des chercheur a se détourner des outils de l’Internet. Pourquoi perdre du temps ? Ils ont tort. L’internet n’est pas seulement un lieu de stockage de l’information. C’est un lieu ou l’on trouve les acteurs de l’information. Si vous êtes intéressé par les travaux de Antonio Casilli, ou Olivier Mauco vous pouvez les contacter sur Twitter ou sur leurs blog. Vous pouvez voir la recherche en train de se faire. L’Internet suinte littéralement de la connaissances. L’information que vous cherchez est immédiatement disponible à quelqu’un d’autre. il suffit de demander, et dans 80% des cas, la force des liens faibles fera son travail.
Certaines publications sont derrières des murs de dollars. Pour y accéder, il faut payer en moyenne une quinzaine d’euros. Un article universitaire compte une vingtaine de référence. Qui paiera 300 euros pour écrire un article ? A quoi bon publier si c’est pour ne pas être lu. Bien sûr, les chercheurs ont accès à ces articles par des abonnements de leurs laboratoires de recherche. Mais la solution est au moins autant pire que le mal ! La connaissance est faite pour circuler dans la société. Elle doit être au contact du public. Elle doit être mises en débat, discutée. Il ne s’agit pas de transformer les procédures de validation scientifique par des votes populaires. Il s’agit de transformer des théories et des faits scientifiques en objets politiques. Ou ces débats et ces discussions ont lieu aujourd’hui ? Sur Facebook. Sur Twitter. Sur les blogs.
Quels sont les obstacles à des humanités 2.0 ? Le temps ? Les chercheurs sont aujourd’hui dans l’alternative Publier ou mourir. Publiez, et vous serez cités. Soyez cités, et votre laboratoire de recherche recevra des subventions. Que votre laboratoire de recherche reçoive des subventions, et votre contrat sera (peut-être) maintenu. Qu’on le veuille ou non, le google ranking fait la loi dans les recherches. Or bloguer est une excellent expérience pour comprendre de l’intérieur les processus d’influence. Bloguez, et vous serez cité. Soyez cité et… Par ailleurs, et c’est sans doute le plus important, le temps d’écriture d’un billet de blog n’est pas un temps pris sur l’écriture d’un article. L’écriture suit une règle simple : plus vous écrivez, plus il vous est facile d’écrire. Ce que vous écrivez pour votre blog vous sera utile pour un article. Et pour ceux qui commencent une recherche, qu’il s’agisse d’un article, d’un mémoire de fin d’année, ou d’une thèse, le blog est un outil très puissant pour rassembler des données et mettre a plat des idées et des problématiques.
Le narcissisme du chercheur pourrait être un obstacle plus sérieux. Etre un auteur est un attrait important pour tout chercheur. N’y a t-il pas un risque à mettre sur le réseau ses idées ? D’autres ne vont ils pas les utiliser ? Le thème du vol d’idées est quelque chose de récurrent. Mais c’est avant tout un fantasme. Les idées sont dans l’air du temps, et même si plusieurs personnes ont la même idée dans un temps proche, chacun la développera avec son génie propre. Par ailleurs, bloguer est la meilleure façon de dater ses idées. Il devient alors facile de faire référence à un billet ou l’on parle d’une notion, ou l’on rapproche des faits disparates. Enfin, les dynamiques des réseaux sociaux sont en général favorables au narcissisme de chacun. Donnez, et vous recevrez. Donnez beaucoup, et vous recevrez énormément. C’est étrange, c’est même un peu binounours, mais pour ce qui est du partage de l’information, le réseau (pour l’instant) marche comme cela.
Ce n’est pas simplement un rêve personnel. Je sais, par des discussions, qu’il est aussi celui de plusieurs autres chercheurs. Je sais aussi par mes pérégrinations sur le web, qu’il est déjà mis en place dans des communautés anglo-saxonnes. Par exemple, autour de Mike Wesh, une communauté d’étudiants partagent leur travail sur un groupe diigo. Si le croisement de la culture et de l’internet vous intéresse, alors vous devez suivre ce groupe. Il vous apportera bien plus que des heures de navigations sur le web. Chaque membre du groupe est un expert en son domaine, et ce qu’il propose l’attention de tous a fait l’objet d’un travail cognitif que les robots de Google, Bing, et autres Yahoo sont loin d’approcher !
Tirer, indexer, hiérarchiser, transmettre. C’est ce dont les chercheurs font dans leur travail. Ces ont aussi aussi précisément les grandes forces des communautés numériques. Elles mettent au contact de chacun des contenus qui sans cela resteraient très probablement hors de portée. Elle permettent de faire émerger des patterns qui sont cachés dans la masse d’information.
Suis-je trop impatient ? Les choses changent. André Gunther a réussi à former une merveilleuse ferme de blogs sur la culture visuelle. Des sites comme Cairn mettent a la disposition de chercheurs des outils de recherche. Knowtex a vocation d’être le média social de la culture scientifique et technique. Il y a d’autres portes d’entrées, mais ce dont je suis certain c’est que les sciences humaines du 21ième siècle passent par ces trois mots : tag, tag, tag.
Ah! Je me suis fais avoir par l’illustration, je pensais que le billet portait sur les comportements des artistes de rue qui, je suppose, cherchent la reconnaissance de leur groupe.
Pour moi l’enjeu est l’articulation entre des espaces de publication fonctionnant sur des temporalités différentes. Bien souvent, les intensifs pratiquants du web rendent bien leur mépris à ceux qui préfèrent des supports mieux rôdés. Les vrais prosélytes ne sont pas ceux qui se plongent dans l’usage intensif des nouveaux outils, ce qui est un peu égoïste comme Yann le souligne bien. Non, ce sont souvent ceux qui construisent les passerelles entre le nouveau et l’ancien, pour offrir à la communauté de leurs pairs les nouveaux outils plutôt que se poser en pionniers d’un monde qui n’existerait pas encore. La recherche et les pairs existent toujours déjà, et beaucoup s’y engagent précisément pour cette raison, pour la beauté – esthétique et éthique – de l’aventure collective sur les chemins du savoir et de la vérité. Je pense par exemple en sociologie à ce site précieux http://www.liens-socio.org/ – s’il n’a rien des charmes instantanés d’un cerveau en ébullition, il me semble qu’il a fait plus ces dernières années pour la conversion des sociologues français au web que les meilleurs blogs du domaine.
Merci pour cet article intéressant. Cette lecture a été un complément intéressant à : http://en.wikipedia.org/wiki/Release_early,_release_often
Merci aussi au commentaire de Manuel Boutet qui pointe un phénomène intéressant de la course à étre un pionnier en oubliant l’importance de la pédagogie.