On appelle point d’inflexion en mathématiques le point ou s’opère un changement de concavité d’une courbe plane. Ce point d’inflexion figure un changement important dans le phénomène étudié.
Il semble que dans le cadre des recherches sur les conduites en ligne, nous ayons atteint un tel point. Les premières recherches ont mis l’accent sur les dangers de l’Internet et des mondes numériques. Les cris d’alarme de Kimberley Young et de Susan Greenfield ont été répercutés dans la presse, faisant naitre des inquiétudes chez les parents et provoquant chez le politique des reflexes législatifs. Dans le monde de la recherche, les investigations ont gardé le même ton. L’internet a été regardé avec suspicion et les jeux vidéo ont été le coupable idéal. Dans un scénario digne de Molière, toutes les difficultés des adolescents ont été rapportées aux mondes numériques Baisse scolaire ? Les jeux vidéo ! Violence ? les jeux vidéo ? Insomnie ? Les jeux vidéo ! .
Les choses sont en train de changer. L’addiction aux jeux vidéo et à l’internet n’est pas reconnue par les classifications internationales des maladies mentales et va rejoindre les maladies imaginaires qui ont toujours été associées à une nouvelle technologie.
L’inflexion se fait également sentir dans le ton et les angles des dernières études. Les liens entre adolescence et Internet y sont moins nécessairement liés à des situations pathologiques ou problématiques. Le réseau est davantage compris comme un espace social dans lequel les interactions engagées peuvent être sources de problèmes mais aussi de solutions. Par exemple, si les adolescents sont massivement confrontés à la pornographie sur le réseau Internet, c’est d’une part parce que un certain nombre d’entre eux se pose des questions sur la sexualité et ne trouve pas de réponse satisfaisante dans leur environnement, et d’autre part parce que parce ce la pornographie est un miroir de nos sociétés. On y croise entre autres choses la violence, la chosification du partenaire sexuel, l’héroïsation phallique et le racisme, Lorsqu’il est question de sexualité et d’adolescence, la question est donc moins celle du danger des images pornographique sur les jeunes que sur les modèles auxquels ils sont exposés tous les jours, sur Internet, mais aussi dans les séries télé, les jeux vidéo, les livres, le cinéma…
Enfin, les personnes ayant une charge d’éducation ou de soin auprès des jeunes prend mieux en compte la place qu’occupe Internet chez les jeunes. Par exemple, l’ American Academy of Pediatrics Council on Communication and Media fait remarquer dans son rapport de 2011 qu’une grande partie de développement social et émotionnel des adolescents se produit sur le réseau. L’internet est pour les adolescents un milieu pratiquement naturel. Il l’est d’abord parce qu’ils sont nés dans un monde ou l’Internet était déjà en place. Il l’est ensuite parce qu’ils trouvent dans le réseau des points d’appuis pour le travail psychique imposé par le pubertaire
Les cliniciens ont tout intérêt à mieux prendre en compte la place des mondes numériques dans la vie des adolescents. Ils y trouveront de nouvelles modalités d’interventions. En France, le travail autour des médiations psychothérapeutiques avec les jeux vidéo est déjà bien avancé. Il reste a faire quelques pas et à mettre en place des médiations en ligne. Il existe déjà quelques initiatives . Michael Stora a été un temps consultant pour les skyblogs et a rendu compte de son travail Sur Habbo Hotel, il est possible de rencontrer des psychologues dans le bus du JardinFilsantéjeunes . Ces dispositifs sont à développer. En effet, une étude a montré que les adolescents présentant des traits dépressifs évoquent leur état sur Facebook tandis qu’une autre étude montre qu’ils sont sensibles aux interventions extérieures lorsqu’elles ont lieu en ligne.
Avoir l’occasion de rencontrer un adulte aidant lorsque l’on est en difficulté est une opportunité précieuse pour un adolescent. Pour les adultes, ce serait une faute que de ne pas se donner les moyens de le faire
Feeling bad on Facebook: depression disclosures by college students on a social networking site. Megan A Moreno, Lauren A Jelenchick, Katie G Egan, Elizabeth Cox, Henry Young, Kerry E Gannon, Tara Becker (2011) Depression and anxiety 28 (6) p. 447-55
Reducing at-risk adolescents’ display of risk behavior on a social networking web site: a randomized controlled pilot intervention trial. Megan A Moreno, Ann Vanderstoep, Malcolm R Parks, Frederick J Zimmerman, Ann Kurth, Dimitri A Christakis (2009) Archives of pediatrics & adolescent medicine 163 (1) p. 35-41 http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19124701
“Ca ne regarde que les autres !” ou le blog à l’épreuve de l’adolescence”. Stora Michaël, Empan 2009/4 (n° 76)
Merci pour cet article, très instructif, et certainement très juste.