Et Jésus lui demanda, disant: Quel est ton nom? Et il dit: Légion; car beaucoup de démons étaient entrés en lui. Marc 5:9

We are anonymous. We are legion. Anonymous.

 

 

Lancé en 2003, 4chan est un “image board” célèbre pour être un des diffuseurs de la culture Internet. Malgré une petite population, il fait partie des “big boards”.Contrairement aux autres forums ou aux réseaux sociaux, l’enregistrement sur 4chann’est pas nécessaire pour participer aux discussions. L’identification des différents pasteurs tout comme l’anonymat restent possible. Une autre caractéristique de 4chan est d’être sans mémoire. Les messages sont automatiquement effacés lorsque le seuil maximum de message par fil de discussion est atteint.

Ces deux caractéristiques font de 4chan un endroit particulier. On peut y voir à la fois un creuset de créativité car c’est un des lieux ou les [k:mème]s de l’Internet sont fabriqués. C’est aussi garde fou de libertés qui rappelle inlassablement la nécessité pour chacun de prendre se prendre en charge sur Internet.Mais c’est tout autant un lieu plein de violence où anonymous fomente des coups contre individus ou des institutions.

 

Anonymous ? Des psychopathes, des pornographes, des  zoophiles, des humoristes…  Des terroristes pour le lulz, , un phénomène de l’Internet, des conspirateurs menaçant la culture, ou des hacktivistes luttant contre les dérives sectaires ou le consummérisme ? Des héros ou des hommes sans qualité ? Des vigilentes ?Les vrais maitres de l’internet ? Des patriotes déclarant l’indépendance du cyberespace ? Des adolescents férus du omgepicfail ? Des paranoïaques ? des fans de Fight Club ? Des hommes sans qualités ? Des personnes qui se prennent trop au sérieux ? Ou pas assez ? Il est impossible de définir clairement anonymous. C’est tout à la fois tout cela. Et son contraire.

Il est cependant une chose dont ont peut être sûr à propos d’Anonymous. Anonymous d’ailleurs y insiste souvent : c’est un ensemble, c’est un collectif, c’est un “nous” même si ce nous peut être composé de différentes entités.

Appareiller les multitudes.

La multitude peut être organisée de deux façons différentes. La première consiste à réduire au maximum les différences. Chacun est assigné par l’ensemble à une place et chacun s’assigne a la place que lui désigne l’ensemble. Il y a isomorphie entre les individus et le groupe :

Chaque fois qu’un groupe se trouve confronté à une situation de crise ou de danger grave, il tend à s’appareiller en liant ses « membres » dans l’unité sans faille d’un « esprit de corps ». la fiction isomorphique du groupe indivis est ici au service du principe de plaisir et du fantasme d’omnipotence. René Kaës, Le groupe et le sujet du groupe

.Toutes les différences sont annulées et ce jusque les différences entre les individus. Le groupe en vient à ne reconnaitre que sa propre réalité et fonctionne dans une sorte de rêve collectif. Dans ce groupe, les processus inconscients les plus archaïques se donnent a voir dans leur forme la plus pure. Le groupe devient un corps ou un rêve mais au prix du corps et des rêves de chaque individu : il ne peut plus exister qu’un corps – celui du groupe – ou qu’un rêve – celui que le groupe fomente. Ici, l’individu comme subjectivité n’existe pas.

La seconde façon d’organiser la multitude est de permettre des différences entre l’ensemble et ses parties. Les individus peuvent avoir une existence propre, et même une vie psychique indépendante de la vie psychique de l’ensemble. L’épreuve de la réalité, tout comme l’existence de conflits entre les membres est reconnue. Le temps et la référence à un ordre symbolique sont intégrés.

 

 Anonymous est une foule. S. Freud, Psychologie collective et analyse du moi, 1921, http://www.akhnaton.net/dna/members/akh/game/aomrrr.gif

La masse, la multitude, la foule, voilà la caractéristique principale de Anonymous. Une foule est “ une somme d’individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi, et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres.” (Freud, 1921). C’est cette état de foule qui est recherché par les individus, et qui explique le surinvestissement de l’ensemble, son idéalisation, le peu de place fait au principe de réalité, et l’abaissement de la censure.

Une foule est un groupement de personnes caractérisée par la réduction des inhibitions et la coexistance d’états psychiques opposés. La foule est suggestible, très sensible à la contagion des idées, des émotions et à la force magique des mots. Les individus ont tendance à abandonner tout avantage personnel en faveur de l’ensemble. La foule peut faire preuve de la plus grande générosité comme de la plus grande bassesse parce que en elle les psychologies individuelles se dissolvent : “l’objet absorbe, dévore, pour ainsi dire, le moi” (Freud, 1921)

Anonymous réalise le “miracle de la disparition complète , quoi que peut-être passagère, de toute particuliarité indviduelle” (Freud, 1921) que l’on observe dans une foule. Elle se présente sous les traits d’une entité toute-puissante et dangereuse pour tout ce qui n’est pas elle. Elle est de particulièrement apte a activer l’imaginaire de la horde primitive et l’imaginaire pré-oedipien. Dans le premier cas, la foule devient un surhomme : rien ne lui est inaccessible, et rien ne saurait faire obstacle à la réalisation de ses désirs, ni l’espace (anonymous est partout), ni le temps (anonymous n’oublie pas), ni les règles sociales (anonymous est sans pitié). Le mécanisme sous-jacent est celui d’une substitution du moi de chaque anonymous a l’idéal du moi Anonymous ce qui ouvre aux sentiments de triomphe et satisfaction qu’aucune critique ou remords  ne peut venir troubler.

Pour ce qui est de l’imaginaire pré-oedipien, on en voit les traces dans les guerres intestines des anonymous, la prévalence des mécanismes projectifs, la force des liens de maitrise, ou encore facilité avec laquelle le désir est mis en actes.

 

Anonymous, un exemple d’appareillage isomorphique

Ce “nous” est organisé d’une façon particulière. Anonymous est un exemple presque pur d’un appareillage isomorphique. La différence entre les individus est effacée puisque chaque individu endosse l’identité commune : anonymous. La grande force de ce type d’appareillage est d’ouvrir sur des fantasmes de toute puissance. Puisque chacun est interchangeable, alors seul l’ensemble compte. Puisque chaque un a fait le deuil de son être, alors seul l’ensemble doit compter. Le collectif ainsi créé touche a une puissance à laquelle aucun ne saurait prétendre. Il n’est pas d’objet ou d’objectif qu’Anonymous ne puisse atteindre  “Expect us” clame anonymous

Mais même pour Anonymous, il existe une tension entre le pôle isomorphique et le pôle homomorphique de l’appareillage. On en voit des traces dans les conflits entre les old anon et les new anon. La simple force du temps fait que certains sont déjà plus à l’aise avec la culture du groupe. De ce fait, les actes des nouveaux venus les identifient immédiatement comme tels. L’impératif qui est donnée a toute personne faisant étalage de sa méconnaissance – lurk more – est une invitation à une meilleure intégration par en s’identifiant à l’idéal du groupe.

De même, pour permettre des discussions argumentées, les /b/tards ont du céder sur l’idéal d’anonymat : les messages peuvent être identités par un tripcode. Mais l’ambiance très particulière de /b/ fait que cet identifiant est lui aussi objet d’un jeu consistant à poster des messages ayant le même identifiant.

Enfin, la production pratiquement permanente de mème est aussi à entendre comme tentative de dégagement du collectif. Anonymous crée sa propre légende, c’est même sa principale activité. Il n’est pas une action qui ne soit reprise et soigneusement annotée. Les actions sont toujours grandes ou extraordinaires. En somme, anonymous ne cesse de produire des récits héroïques. Cette production incessante est une mesure des la pression de la psychologie collective sur les individus. En effet, le mythe, et surtout le mythe héroïques, est une façon de se dégager de la psychologie collective puis qu’il campe la figure d’un héros se dressant contre la tyrannie

 

Note. Les citations de Sigmund Freud sont extraites de Psychologie collective et analyse du Moi, 1921