L’Internet est souvent présenté comme un facteur de démocratisation. Le réseau participerait au bon mélange des masses, en mettant en contact des personnes d’horizons et d’intérêts différents. Le professeur et le maçon, l’adolescent et vieillard, le noir et le blanc trouveraient ici un espace ou ces différences ne compterait plus. Ce qui compterait, ce serait les compétence : la capacité à produire un beau texte, celle d’être présent et d’animer un lieu en ligne, ou encore des compétences à jouer remplacerait. En un mot, Internet serait une merveilleuse méritocratie.
danah boyd remet tout cela en cause lors d’une conférence au Personal Democracy Forum. “The Not-So-Hidden Politic of Class Online” Elle part de l’histoire de MySpace et de Facebook et montre que la façon dont les populations américaines s’y répartissent tient à des mécanismes d’exclusion sociale.
MySpace a été un des premiers site de réseau social ((pour l’histoire des sites de réseaux sociaux voir boyd, d. m., & Ellison, N. B. (2007). Social network sites: Definition, history, and scholarship. Journal of Computer-Mediated Communication, 13(1), article 11)) et le transfert d’une partie de sa population vers Facebook tient pour une part à l’attrait de la nouveauté. Mais Facebook s’est développé d’une façon particulière. Le site était d’abord réservé aux étudiants de Harvard, puis s’est ouvert aux universités de la [W:Ivy League] c’est-à-dire aux universités les plus prestigieuses. Lorsque l’inscription a été ouverte au grand public, le travail effectué par les premiers membres a fait le reste. Dans une communauté, les premiers membres sont très importants, car ils donnent la tonalité de l’ensemble. Les groupes se construisent, au moins a leurs commencement, sur une base communautaire : les nouveaux membres ressemblent aux membres plus anciens.
C’est cette homophilie qui a fait de MySpace et de Facebook des espaces sociaux si différents.Le peuplement de départ de Facebook est celui des universités et des grandes écoles c’est à dire des personnes qui pour la plupart sont issues de milieux aisés et instruits. Il s’est fait ensuite a partir des proches de ces étudiants. Ce peuplement de base a servi d’amorce à la migration des utilisateurs de MySpace vers Facebook. Tous ceux qui se sentaient proches de la population d’origine de Facebook n’ont pas hésité à migrer. Les autres sont restés sur MySpace. Le phénomène est le même que celui qui a vidé les grandes villes des bourgeois et des classes moyennes. MySpace a subi des effets d’ostracisation, tout comme les quartiers de banlieue peuvent être ostracités : on a en fait un lieu peu recommandable, et les médias ont diffusé des histoires de prédateurs sexuels, contribuant ainsi à créer une panique morale qui a encore accentué l’ostracisation.
Au final, on a deux espaces, MySpace et Facebook qui s’ignorent totalement l’un l’autre. La technique aggrave ici les dynamiques sociales puisqu’il n’est pas possible à partir d’un des sites de communiquer avec le réseau de l’autre site.
danah boyd en tire des conclusions importantes
1. L’internet est un reflet de nos sociétés et il ne faut pas attendre des médias sociaux qu’ils résolvent magiquement les inégalités de nos sociétés.
2. L’internet n’est pas le lieu de l’universel. C’est un espace public, c’est à dire qu’il appartient aux classes dominantes, c’est à dire aux blancs instruits et aisés.
3. Pour ceux dont le travail est d’être en lien avec le public, être sur un réseau social, c’est indiquer quelle est la population à laquelle on s’intéresse et donc celle à laquelle on ne s’intéresse pas
4. Internet est une nouvelle arène politique, mais tous ne sont pas également armés. Si nous n’y prenons garde, si nous ne nous donnons pas la peine de donner a tous un accès et une littératie au réseau, nous risquons de produire de nouvelles inégalités qui vont s’ajouter aux anciennes
Les réseaux sociaux créent leurs propres mécanismes d’exclusion, ce n’est pas un risque, c’est une réalité. Et c’est ici fort bien démontré. Mais il n’a jamais été question qu’ils soient égalitaires. Qui oserait le prétendre ? Et qui peut arguer d’une égalité quelconque sur notre planète ?
Reste que les réseaux sociaux sont néanmoins un nouvel outil qui permet des échanges à distance qui étaient il y a peu compliqués et contraignants. Une fonctionnalité qui a changé notre quotidien au travail, notre rapport à l’autre et qui induit fortement des questions de personnalité (qui suis-je, que dis-je, qu’est-ce que je montre, qu’est-ce qui est vrai, faux…) A chacun d’entre nous d’en faire bon usage, professionnellement parlant, et surtout personnellement… Attention aux risques.
Et oui, j’ai souscris au flux et vais passer un peu de temps sur votre blog.
C’est un point de vue très intéressant, et les remarques sur notamment Facebook et MySpace très justifiées, mais toutefois je reviendrais volontiers pour nuancer ou préciser ce qui est sous-entendu par les termes d’exclusion. Si on pense en termes mathématiques, oui, mais si on pense en termes sociaux, je trouve que c’est un petit peu fort (dans le sens “exagéré”).
Parce que ce n’est pas tant de l’exclusion sociale, que du regroupement par communautés d’intérêts. Les musiciens par exemple utilisent plus MySpace que les ingénieurs qui se retrouvent plus via Facebook, etc. Qu’après ces catégories se regroupent avec des catégories sociales, ou même en ce qui concernera les States où c’est plus facile à identifier, socio-ethniques, c’est clair. Mais cela ne relève pas de l’exclusion au sens où l’on pourrait l’entendre.
Et chaque individu pourra appartenir à plusieurs réseaux selon ses affinités.
Hello Otir !
Il est probable que le point de vue de Turkle soit américano centré. Elle le dit d’ailleurs dans l’introduction de son texte : elle parle a un type de public et elle veut leur faire entendre quelque chose. En soi, c’est une position très intéressante car elle le fait sans détour et avec courage. Je pense qu’un orateur français prendrait bien plus de gants.
Il est vrai que l’on peut être dans plusieurs réseaux. Mais d’une part nous cherchons tous la ‘killing app’ qui nous permettrait de tout gérer à partir d’un centre. Et d’autre part, les réseaux consument tellement de temps et d’énergie que finalement on va là ou la colle sociale est la plus forte. Par exemple, j’ai essayé d’utiliser Plurk et Twitter en même temps, et j’ai finalement renoncé à Plurk ! Ce problème pourrait peut être réglé par des spécifications techniques qui laisseraient les formats ouverts. Cela nous permettrait de ne pas être trop lié à un dispositif.
Je suis un peu déçu, à chaque fois que je lis un article intéressant en soi, de tomber sur des erreurs de langue. Ici, par exemple les participes passés “servi” et “subi” auxquels l’auteur ajoute un “t”. Le féminin serait cocasse : “servite et subite”! C’est un des très grands problèmes d’internet précisément, les jeunes prennent ces écrits pour référence!!!
Dans le commentaire de Claire Romanet, d’ailleurs le “j’ai souscris” ferait aussi un joli “souscrise” au féminin.
Merci d’avoir relevé ces coquilles.
Elles tiennent pour une grande part au fait que le texte est écrit, réécrit et encore réécrit.
Je vais les corriger.
Je suis complètement pour la quatrième conclusion de Danah Boyd, c’est tellement vraie! Tout les politiciens ne sont pas egalement armés.