La nouvelle s’est répandue sur Facebook trainée de poudre : “on a trouvé un pédophile !” Une page d’alerte a été créée et a recueilli en quelques heures plus de 3100 personnes. On y dénonce une personne que son profil accuserait : on y voit beaucoup d’enfants, il commente les photos de jeunes garçons et un de ses amis Facebook affiche sur sa photo de profil un provocateur « I like sex with boys »
Nous sommes des êtres tellement sociaux qu’il nous il suffit d’être confrontés à des avis congruents pour être fortement tentés d’avoir de le même. Dans les années 50 des psychosociologues ont mis en lumière les processus d’influence qui nous façonnent. Ils ont montré que nous avons tendance à adopter les normes du groupe mais aussi que nous les adoptons même lorsqu’elles vont à l’encontre de nos perceptions ou de nos conceptions. Le fait de se sentir affilié au groupe est en soi une motivation suffisamment puissante pour qu’un individu adopte une norme opposée à ses perceptions ou à ses valeurs.
Cette mise à l’écart de la conscience de soi est appelée désindividuation en psychologie sociale. C’est cette désindividuation qui a donné dans les années 40 aux arbres d’Alabama ou du Mississipi d’étranges fruits. Qu’un homme crie « A mort ! » et on se hâtait. De mains agrippaient un corps, une corde était jetée par-dessus une branche et la foule appliquait la loi de Lynch. Du fait de la désindividuation, chacun était appelé à agir non plus en fonction de ses normes internes mais en fonction de ce que font et vivent les autres.
Ces foules se rassemblent aujourd’hui sur le réseau. Le phénomène n’est pas nouveau. Pour donner un exemple français et récent, on se souvient de la fièvre qui a saisit la blogosphère autour des photos de « Laure Manaudou nue ». Sur Facebook, on a vu d’immense foules se former à l’appel de différentes causes. Pour soutenir la lutte contre le cancer du sein, il fallait mettre sur son mur « je l’aime sur… », tandis que l’année précédente, il fallait afficher la couleur de … ses sous-vêtements. Pour la cause des enfants, il fallait au mois d’octobre mettre personnage de dessin animé préféré en photo de profil. Il n’y a bien évidement aucun lien rationnel entre la cause défendue et les actes réalisés. Comme toutes les foules, les foules numériques ne fonctionnent pas sur le mode de la pensée rationnelle et consciente. Elle font une large part à la vie inconsciente. Le portrait dressé par Sigmund Freud d’une foule : « impulsive, mobile, irritable, » « incapable d’une volonté persévérante », pleine d’un « sentiment de toute puissance », « influençable et crédule », « dépourvue de sens critique » correspond parfaitement aux rassemblement qui se produisent sur Facebook. Ainsi, après avoir cru que changer l’image de son profil aidait la cause des enfants, la foule croira aussi éperdument que c’était un piège tendu par des pédophiles. En fonction du personnage affiché, les pédophiles auraient pu évaluer l’âge de la personne et à partir de là contacter des enfants. C’est que la foule vit une une vie rêvée : « comme dans le rêve et dans l’hypnose, dit Freud dans l’activité psychique des foules, l’épreuve de réalité disparait face à l’intensité des motions de désir investies affectivement » (Freud, 1921, p. 137).
Avec ses 700 millions de membres et le clair-obscur que sont les mondes numériques, Facebook donne de nombreuses occasions de former des foules. Une foule offre de grands avantages par rapport à l’individu. Elle ne se pose pas de questions. Elle s’offre comme une évidence. La foule sait que telle personne est pédophile. Elle est certaine de ses preuves. Elle dénonce. Elle invective. Elle insulte. Elle menace.
Le second avantage de la foule est qu’elle permet à chacun de se montrer agressif, violent ou cruel en toute impunité. Il n’y a qu’a lire les quelques commentaires de la page de dénonciation pour avoir une idée de la haine mise en jeu. Derrière la figure du pédophile honni se profile vite la haine de l’homosexuel. Dans sa passion de justice immédiate, la foule oublie que si la pédophilie est un crime, l’homosexualité n’est ni un crime, ni une maladie. On en appelle à l’émasculation voire même à l’exécution. Le coté instinctuel de la foule avait été noté par Sigmund Freud après Gustave Lebon. Les foules en ligne ne se montrent pas très différentes. Dans cette foule, les individus se laissent aller aux fantasmes les plus crus ! Chacun se rassemble sous l’idéal commun : « il faut protéger les enfants » et chacun s’identifie à ses voisins. La foule est alors doublement verrouillée : d’abord par la désignation d’un mauvais objet à détruire et ensuite par l’amour témoigné aux enfants.
Les foules d’hier comme les foules d’aujourd’hui ne supportent pas d’attendre. Attendre, c’est penser. Penser, c’est se défaire de la foule. Se défaire de la foule, c’est abandonner la toute puissance imaginaire qu’elle offre. Hier, on jetait une corde au dessus d’une branche. Aujourd’hui, on crée un groupe Facebook. Cependant, hier comme aujourd’hui, l’enthousiasme avec lequel ces foules se rassemblent ne doit pas faire oublier qu’elles enfreignent la loi.
Il est souhaitable que Facebook ne se couvre pas de « fruits étranges »
Crédit photo Virtual Rope par pupski
Ca resamble aux heures troubles des pogroms des inquisitions des chasses aux sorcières POUA !!!!
Le point de vue d’un journaliste sur cette affaire : https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=explorer&chrome=true&srcid=0B_EGYFRTrNBQZTlhZmNkMGUtYTlmYi00NTIxLTg4ZGQtYTA1NTk1MTdiYjU0&hl=en