J’ai commencé à travailler sur Internet et les groupes en ligne avec l’idée qu’il s’agissait là de nouveaux espaces et de nouvelles façons d’être avec soi même et avec les autres. Ce n’est que peu à peu que j’ai pris conscience que ces espaces procédent de tout un travail de la culture. Ce n’est d’ailleurs pas quelque chose d’extraodinaire : une technique n’apparait dans une culture que lorsque celle ci, ou une partie de celle ci, est prête à l’accueillir. Il en va de même pour le réseau Internet. On trouve des traces de ce travail préparatoire dans la littérature. Il faut bien entendu se méfier des effets d’après coup. Aucun homme de lettre n’a prévu l’Internet tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mais certains ont eu sur les moyens de communication de leur époque une vue qui allait bien au-delà de ce qu’ils étaient alors. C’est là une des grâces de l’artiste. C’est pour cela que le travail d’un David Guez, d’un Ariel Malka ou d’une Shelley Jackson me semblent tout à fait intéressants à suivre
Il faut aussi reconnaître que le désir de communiquer avec soi, avec autrui et même avec l’autre non-humain a toujours est chez l’homme quelque chose d’assez constant. On trouve des "tours de main", des façons d’être et de faire du réseau Internet qui existent bien avant le réseau. J’avais signalé sur ePsychologie l’exemple des hobboes. Le Time avait publié un article We Owe It All To The Hippies. Rémi Sussan lors de son passage à Digiborigenes a montré les filliations entre la cuture underground des sixties et l’Internet.
Voici quelques exemples qui disent à la fois la nécessité dans laquelle nous sommes tous de communiquer, l’usage que nous pouvons faire de nos voies de communications, et les angoisses que nous pouvons y renconter.
En 1844, Alexandre Dumas écrit Le comte de Monte Cristo. Les télégraphes sont suffisament implantés pour qu’il y consacre un chapitre entier. Il y décrit comment le comte de Monte Cristo se venge de Danglars en lui faisant parvenir une fausse nouvelle via le télégraphe : le roi don Carlos a échappé à la surveillance dont il était l’objet a Bourges et est rentré en Espagne. Barcelone s’est soulevée en sa faveur. Affolé, le baron Danglars qui a pour six millions de titres espagnols s’en débarrasse à toute hâte. Le lendemain, un démenti est publié : “Le roi don Carlos n’a pas quitté Bourges, et la Péninsule jouit de la plus profonde tranquillité. “Un signe télégraphique, mal interprété à cause du brouillard, a donné lieu à cette erreur.” Le baron a perdu un million de francs. Il s’agit sans doute de la première description du hack d’un réseau.
J’ai vu parfois au bout d’un chemin, sur un tertre, par un beau soleil, se lever ces bras noirs et pliants pareils aux pattes d’un immense coléoptère, et jamais ce ne fut sans émotion, je vous jure, car je pensais que ces signes bizarres fendant l’air avec précision, et portant à trois cents lieues la volonté inconnue d’un homme assis devant une table, à un autre homme assis à l’extrémité de la ligne devant une autre table, se dessinaient sur le gris du nuage ou sur l’azur du ciel, par la seule force du vouloir de ce chef tout-puissant : je croyais alors aux génies, aux sylphes, aux gnomes, aux pouvoirs occultes enfin, et je riais. Le conte de Monte Cristo, Alexandre Dumas, 1844.
Dans la cage, Henri James, 1908
Dans la cage raconte comment une télégraphiste comprend ce qui se passe dans la bonne société londonienne juste a partir petits textes qui lui sont donnés à télégraphier. Le petit espace clos du bureau de poste devient une fenêtre ouverte sur le monde bourgeois, avec ses secrets, ses histoires de coeurs, ses voyages. Là, dans l’écheveau des messages et des identités, la jeune femme voit de plus en plus clairement dans le jeu des uns et des autres
Il signait tantôt Everard tout court comme sur le télégramme de l’hotel Brighton et parfois Le capitaine Everard. Parfois le prénom Phillip précédait le nom ou figurait tout seul. Dans certains télégrammes, il n’était plus que Phil, dans d’autres simplement Le capitaine. Dans d’autres encore, il n’était rien de tout cela mais quelqu’un d’entièrement différent : Le comte. Plusieurs de ses amis le connaissaient sous le nom de William. Pour d’autres encore, il signait, sans doute par allusion à son teint, Bonbon rose. Une seule fois heureusement, par une coïncidence comique et tout à fait miraculeuse, il avait signé du nom d’une personne qui était très proche de la jeune fille : Mudge
When the sysadmin rules the earth, Quand les sysadmin dirigeaient la terre Cory Doctorow, 2006, trad. fr . Zen le renard
Une catastrophe détruit la terre. Les administrateurs système (sysadmins) font ce qu’ils savent faire depuis toujours : maintenir les serveurs en état de fonctionnement, poster sur Usenet, inventer de nouvelles façon d’être avec l’autre. Et si cette fois c’était possible ? La nouvelle donne une excellent description des moeurs et coutumes des sysadmins qui ont été de ceux qui ont bâtit le premier Internet
« Si on laisse le réseau s’effondrer lentement, certains morceaux vont rester en ligne pendant des mois. Peut être des années. Et qu’est ce qui va tourner dessus ? Des Malwares. Des vers. Du spam. Des processus systèmes. Des transferts de Zone. Les choses qu’on utilise demandent un entretient constant. Si elles ne sont plus utilisées elles tombent dans l’oubli et durent pour toujours. »
Le nouveau groupe était alt.november5-disaster.recovery, avec .recovery.goverance, .recovery.finance, .recovery.logistics et.recovery.defense. Bénie soit la douce hiérarchie alt, et tous ceux qui naviguent avec elle.
Scroogle, Cory Doctorow Engooglés Trad fr. Valérie Peugeot, Hervé Le Crosnier et Nicolas Taffin
Encore une nouvelle de Cory Doctorow. De retour de vacances, un homme découvre que le gouvernement américain a confié la protection de ses frontrières à Google. Ses comptes mails sont explorés à partir des pubs adSense. A t il dit en privé quelque chose de compromettant ? Il découvre petit à petit que la main mise du moteur de recherche étend son action bien au-delà de ses archives mail.
« Pouvez-vous me parler de Juin 1998 ? »
Greg leva les yeux de son magazine Departures. « Pardon ? »
« Vous avez envoyé un message à alt.burningman le 17 Juin 1998, concernant votre projet de participer à un festival. Et vous y avez demandé
Les champis, sont-ils vraiment une mauvaise idée ?»
Le robot qui rêvait, Isaac Asimov
Dans sa série des Robots, Isaac Asimov a exploré les rapports que ces machines particulières peuvent entretenir avec leurs créateurs. Les robots sortant des usines et devenant de plus en plus des interlocuteurs sociaux, comme Paro, ses points de vue donnent souvent à penser. Que se passerait il si les robots venaient à penser ? Que se passera-t-il lorsque les robots commenceront à penser, puisque si l’on en croit Raymond Kurzweil, le point de singularité sera dépassé dans ce siècle.
– Elvex !
La tête du robot pivota souplement vers elle.
– Oui, docteur Calvin ?
– Comment savez-vous que vous avez rêvé ?
– C’était la nuit et il faisait noir, docteur Calvin, répondit Elvex. Et il y a soudain de la lumière sans que je puisse en trouver la cause. Je vois des choses qui n’ont pas de rapport avec la réalité telle que je la conçois. J’entends des choses. Je réagis bizarrement. Et en cherchant dans mon vocabulaire des mots pour exprimer ce qui se passe, je tombe sur le mot “rêve”. J’étudie sa signification et j’en conclus que j’ai rêvé. Le robot qui rêvait. Isaac Asimov
Neuromancien, Wiliam Gibsson, 1984
Comment ne pas mettre dans cette liste le roman dans lequel le mot de cyberspace a été créé ?
Case est un hacker dont l’accès au cyberespace a été interdit en représailles après une missio qui a mal tourné. Il traîne une existence misérable limitée a son corps biologique. Un employeur lui propose un nouvel accès au cyberspace.
Le cyberespace. Une hallucination consensuelle quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les conetps mathématiques…. Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l’esprit, des amas et des constellations de données comme les lumières de ville dans le lointain. Neuromancien
Bel anthologie! Moi-même, j’ai commis un court-métrage en 1991. Le thème était un archiviste qui se mettait à connecter tous ses livres pour en faire un énorme réseau neuronale pour répondre à des questionnements. Il va sans dire que c’était là un véritable “préfiguration” du web (mais tout le monde sait que rien n’est fortuit, et que vraisemblablement je présentais l’air du temps ambiant).
Ah oui, une sorte de memex ! Est ce que le cout métrage est disponible en ligne ?