Il n’y a pas que les anglophones qui travaillent sur World of Warcraft. Les francophones produisent également un travail de grande qualité

On trouve dans Les jeux vidéo comme objet de recherche deux très bons textes de Samuel Couavoux et Raphael Koster qui montrent en quoi les terres d’Azeroth sont des espaces sociaux. Les deux auteurs ont en commun de montrer que le “cercle magique” du jeu n’est pas totalement clôt. Il est relativement poreux et est sensible à des dynamiques qui règlent le monde social dans son ensemble

Si l’espace de jeu est un espace autonome en soi. Il l’est par les pratiques et les discours des joueurs qui ferment le cercle magique. La création d’un langage spécifique, incompréhensible aux non initiés contribuent à former un espace social autonome :

“Dès qu’il y a des instances free stuff ça se bouscule au portillon et ça vient whine. Les deux instances se font à 5 sans buff 15% full 346, alors oui elle se font à 5 en PU avec un buff 15% encore plus facilement.” Shihu, Niveau de stuff ?

Samuel Coavoux dresse la cartographie de cet espace social en montrant comment les joueurs s’opposent en fonction de leur capital social ou économique. La topographie du jeu suit celle du monde hors ligne avec des dominants possédant un fort capital économique du fait d’une pratique de jeu intensive et des dominé dont les pratiques et les discours mettent en avant d’autres valeurs comme la connaissance du monde.

Le joueurs s’opposent donc dans pratiques qui peuvent être compétitives ou non compétitives, oppositionnelles (PvP/JcJ) ou non oppositionnelles (PvE/JcE). Plus les joueurs privilégient la compétition, plus ils se spécialisent vers une pratique oppositionnelle ou coopérative. Les pratiques culturelles liées au jeu constituent une troisième dimension qui différencient les joueurs selon qu’ils sont peu investis dans le jeu ou qu’ils l’investissent uniquement sur le mode de la compétition. Ces oppositions s’inscrivent dans un dans un système des luttes symboliques sur fond de capital économique ou culturel :

« Les joueurs non-compétitifs et non-fans, que l’on appellera désormais joueurs occasionnels, se retrouvent ainsi dans une position objectivement et absolument dominée, ne jouant pas ou peu selon les règles et démunis d’arguments dans les luttes symboliques. Les joueurs fans occupent une position intermédiaire dominés selon les normes de légitimité en vigueur, mais disposant d’un certain poids dans les luttes de classement. En cela ils constituent un pôle symboliquement dominant (car disposant du capital culturel spécifique) mais temporellement dominé, quoique certains d’entre eux soient également des joueurs compétitifs. Enfin, les joueurs compétitifs, mais non-fan constituent le pole temporairement dominant, c’est-à-dire économiquement mais symboliquement dominé. » p. 175-176

 

Raphael Koster s’intéresse également à la fermeture du « cercle magique » et propose de faire une « sociologie du mouvement » des pratiques vidéo ludiques : « Le jeu vidéo semble être de moins en moins un espace à part, car ses codes narratifs, son imaginaire, ses structures techniques tendent à s’institutionnaliser »

Cette institutionnalisation est à mon avis à mettre en parallèle avec le travail d’intertextualisation mis en évidence par David Peyron dans la culture geek.

Les espaces de jeu sont des espaces de re-socialisation. Les évasions qu’ils procurent sont des évasions dans lesquelles chacun peut éprouver, à l’intérieur même des contraintes de jeu, à nouveau profondément lié. La « liberté » des temps présent n’est qu’un rhabillage de l’anomie de nos sociétés : « la souffrance de ne plus se sentir appartenir à une société dont on ne reconnaitrait plus les justifications amène à rechercher d’autres espaces sociaux, dans lesquels les règles pourraient, sinon être négociées, du moins renouvelées, et dans lesquelles l’individu retrouverait un peu du sens qui semblent lui manquer dans ses obligations quotidiennes ».