Nous sommes les héritiers de la contre-culture des années 1960, voilà le point de développé par  Christophe Aguiton, chercheur chez Orange Labs dans une interview donnée a 01.net

“Le Web 2.0 est d’une certaine façon la réalisation des aspirations des inventeurs de l’informatique moderne. Les concepts se mettent en place à la fin des années 1960 grâce à des chercheurs comme Douglas Engelbart [spécialiste des interfaces homme-machine et inventeur de la souris dans les années 1960, NDLR] qui étaient influencés par la contre-culture américaine des mouvements beatnick, hippie et communautaire.” Christophe Aguiton

De ce point de vue, le Web 2.0 serait l’héritier de la contre culture des années 1960. C’est un point de vue développé aussi par Rémi Soussan qui sait montrer avec brio toutes les filliations imaginaires qui existent entre la contre culture américaine de ces années et le réseau Internet. Dans un cas comme dans l’autre, on trouve une remise en question de l’autorité, le refus des hiérarchies horizontales, l’exploration de positions divergentes sans conflits (forks) et la mise en avant de la communauté

Patrick Flichy a remarquablement tracé les différences filiations de l’Internet dans L’imaginaire d’Internet. Il montre comment le réseau s’est principalement construit sur trois communautés

  • La communauté des scientifiques, qui aussi été la communauté d’origine du réseau. De Arpanet au Web, ce sont des scientifiques qui ont construit le réseau et ses outils. Dans les temps premiers, ils ont bénéficié de conditions idéales : leurs inventions étaient à l’abri du secteur concurrentiel, et pouvaient être librement partagées. Il faudra attendre 1993 et [W:Marc Andreessen] pour que la concurrence commerciale fasse sont apparition sur le web. Seconde condition idéale : les développeurs étaient les utilisateurs, ce qui permettait des ajustements au plus près des besoins
  • La communauté de la contre-culture. L’un des grands mérites d’un des premiers présidents de l’ARPA, Lawrence G. Roberts, a été de laisser ouvert le réseau aux étudiants. Ce sont eux qui ont détourné les machines pour jouer ou pour simplement discuter en ligne. Le mail (1972) et Usenet (1979) s’inventent à partir de bricolages de dispositifs existants et permettent de faire des communications entre machine autre chose : des lieux de conversation
  • La communauté des hackers apportera une autre pierre à l’édifice. Pour les hackers toute information doit être librement accessible. La transparence totale (“full-disclosure”) est leur idéal qu’il s’agisse des codes ou des contenus. Elle est associée a l’idée que la fréquentation des machines peut être créatrice de beauté.

Chaque communauté a enrichi le réseau d’un idéal utopique : le partage des connaissance, la contestation et la communauté, l’information libre et la machine/le réseau comme bienfaisante. Ces utopies prennent forme, ou tentent de prendre forme dans le réseau au travers d’un processus complexe que décrit Patrick Flichy. L’imaginaire technique prend peu à peu forme dans un “objet-valise” : différentes techniques, différents inventeurs, différents mondes sociaux se s’y rencontrent, s’y superposent, s’y additionnent. Les usagers et les concepteurs ne sont pas encore clairement différenciés. Vient ensuite une phase de rupture pendant laquelle la technique s’oppose aux dispositifs techniques préexistants. L’utopie devient projet ou alors elle n’arrive pas a prendre forme et elle devient fantasmagorie. Pour prendre des exemples, d’un coté nous avons le web de Tim Berners-Lee, et de l’autre [W:Xanadu] de Ted Nelson. De projet l’utopie devient expérimentation : c’est le moment de la construction de la technique et de ses usages mais c’est aussi le moment ou l’idéologie se construit et revendique l’exemplarité de l’expérience réalisée. Les grands mythes de la technique se construisent ici

“le contexte social particulier qui a rendu possible l’expérimentation est oublié, cette technique locale est alors présentée comme la technique de base d’un nouveau fonctionnement social. Ce travail de déplacemeet effectué par le mythe va finir par transformer l’utopie en idéologie.” Patrick Flichy, L’imaginaire d’Internet

Nous avons des éléments de cette construction mythique avec les grands textes qui célèbrent la foule numérique comme We are the web. De façon plus explicite encore, Julian Dibbell dans  A Rape In Cyberspace (1998) revisite le mythe du paradis perdu.

Un texte comme 1000 True Fans  (version fr) installe un autre mythe. Ce qui est célébré, c’est l’idéologie ultralibérale. Que chacun utilise ses “fans” comme autant de porte-faix de ses désirs de puissance, de célébrité, ou de richesse, et le monde sera bien gouverné. Depuis que Pizza Hut a commencé a vendre ses pizza sur le web (1994), nous savons que les commerçants sont dans le temple, et ils ont d’ailleurs grandement contribué au développement du réseau. La nouveauté, c’est que chacun est appelé a transformer sa sociabilité en un commerce. Je ne suis pas sur que le virage nous soit profitable