La façon dont la vie groupale peut utiliser les nuages est parfaitement illustrée par ce que TechCrunch a appelé un “désastre nucléaire”.  Elle tient en quelques mots : l’interview du fondateur de facebook, Mark Zuckerberg par Sareh Lacey a tourné au chaos. Lassée de l’indiscipline du son public, la journaliste finit par les mettre au défi de trouver de meilleures questions. Ce qu’ils ne manqueront pas de faire. Ce n’est certes pas la première fois qu’un auditoire chahute des conférenciers. Ce qui fait de cet événement quelque chose de spécifique, c’est que ce chahut a aussi eu son image en ligne sur Twitter et Meebo

Le SXSW Festival draine chaque année un public de geeks, d’’entrepreneurs, de gameurs de développeurs et aux passionnés de nouvelles technologiques. Durant 5 jours, de présentations en panels, d’événements en keynotes, la grande tribu de digiborigénes se réunit, discute, extrapole et refait le monde.

Kee Hinckley a fait un énorme travail de récupération et de mise en graphique des données twitter sur cet événement. Il a fait une recherche avec comme mots-clé "SXSW", "facebook","lacy","zuck","keynote" et après plusieurs tris, il a finalement obtenu 2000 messages et 500 usagers.  Il en a tiré plusieurs graphiques qui permettent de lire ce qui s’est passé et aussi une vidéo sur laquelle il a incrusté les tweets. L’ensemble est rassemblé dans un billet Anatomy of a mob qui vaut vraiment le détour. Sa conclusion est que “Twitter apporte un canal de communication qui augmente, plus qu’il n’interrompt, les communications existantes

Cependant, il n’est possible de comprendre pleinement ce qui s’est passé qu’en prenant en compte la vie imaginaire des groupes. Qu’il s’agisse du cas princeps du SXSW, de celui de Dana Boyd, ou d’exemples plus positifs comme l’utilisation des nuages par un panel pour se faire (enfin) entendre, le groupe a utilisé les nuages comme espace transitoire pour déposer son exaspération.

De l’avis d’un autre journaliste qui l’a interviewé, Mark Zuckerberg est un client difficile :

Mark Zuckerberg is a tough interview. I spoke with him for 45 minutes in front of a thousand people at TechCrunch40, and it was the hardest interview I’ve ever done. Even Lesley Stahl at 60 minutes had a difficult time getting him to talk, and they had the benefit of being able to edit the video. techcrunch.com

Aussi, le style "style amical" de Sarah Lacy "(…) plus proche de deux amis chattant que d’une séance de question-réponse" (wired.com) peut être compris comme une tentative de contourner cet aspect. Mais il est aussi pris dans un mouvement d’érotisation qui n’échappe pas au public.

Des tweets rendent compte de cet aspect comme celui de Jason Pontin

"Never, ever have I seen such a train wreck of an interview. Poor girl, flirtatiously awful tho’ she was."

On en trouve également dans les commentaires des articles qui relatent l’affaire :

What was torquing the women behind me was the way Lacy would lean back and twirl her hair with her finger while waiting for Mr. Zukerberg to answer. Blake, commentaire sur blog.wired.com

 

Le public se vit de plus en plus frustré. Il a sous les yeux tous les éléments d’une scène primitive – un couple jeune et beau passe du bon temps ensemble – sans pouvoir en retirer les fruits – les réponses aux questions qu’ils se posent. Zuckerberg a en effet la réputation d’être un personnage plutôt falot et voleur de code. Il faut ici prendre en compte le fait que le public est composé de web-enthousiastes c’est-à-dire de personnes dont la culture est de pouvoir intervenir dans toutes les discussions pour autant qu’ils en ont le désir. Aussi, lorsque la journaliste les met au défi de trouver de meilleures questions, il leur est difficile de résister à l’appel d’autant plus qu’ils entendent aussi la confirmation qu’elle s’y prend mal, qu’il lui manque le savoir-faire et les "bonnes" questions. Entre par ailleurs ici ce que techcrunch.com considère comme du sexisme : le chahut était rien moins qu’un bûcher aux sorcières.

Ce "sexisme" me semble être alimenté par une angoisse de castration bien banale activé par le fantasme d’une mauvaise imago maternelle séductrice et maladroite qui est évincée à la première occasion.  Cet aspect sexuel se retrouve dans la figure de la sorcière mais également dans les nombreux commentaires que l’on trouve sur les blogues ou l’on s’interroge sur la bonne ou mauvaise technique de Sara Lacey qui n’a pas su s’y prendre pour faciliter les choses. Par exemple, Rogers Cadenhead subsitue à la scène de l’interview une scène ou Sarah Lacey fait une fellation à Mark Zuckerberg pour lui faciliter les choses… Ce n’est pas un exemple anecdotique.

L’espace twitter a été le lieu ou les agacements se sont agrégés. Message après message, l’agacement, l’excitation, la colère, toutes les émotions qu’il était difficile de manifester dans l’espace public se sont accumulées sur Twitter et Meebo. L’augmentation de la fréquence des messages – un message toutes les deux secondes ! – est a mettre au regard de la montée de l’excitation

L’espace Twitter n’a pas pu servir d’espace de médiation pour deux raisons. La première est que la journaliste et Zuckerberg n’avaient pas accès a cet espace et n’ont donc pas pu prendre en compte ce qui se passait dans leur dos. Il n’a même pas pu servir d’espace contener. Cela tient, à mon sens, à la façon dont twitter fonctionne : il n’y a pas un espace, mais des espaces qui correspondent aux réseaux sociaux de chacun. 

image La conférence s’est déployée sur trois espaces différents dont certains sont exclusifs par rapport aux autres. L’espace de l’interview, l’espace du public, et l’espace twitter. Le public n’avait pas accès à l’espace de l’interview à la fois dans la réalité et symboliquement. Dans la réalité, l’espace de l’interview était placé sur une estrade précisément pour marquer la différence avec l’espace public, et pour le mettre en valeur Symboliquement, le public s’est vécu comme privé de parole : il y a ceux qui parlent, et ceux qui écoutent. Par contre, le public a accès a l’espace twitter et l’ investit massivement dès le début de la rencontre alors que cet espace reste inconnu de la journaliste et de l’interviewé.

Ce n’était certes pas la première fois qu’un public chahute, mais c’est sans doute la première fois que ce chahut commence en ligne et se déverse ensuite dans le monde offline. On a peine, d’ailleurs, a utiliser cette expression tant la couverture du réseau est maintenant total. Ce qui fait de cet événement quelque chose d’exemplaire, c’est qu’il montre la suture du monde : il n’y a plus de différence entre le ON et le OFF.

Il y a maintenant un seul monde.