Ainsi, la Grande Migration a commencé. Personne ne sait exactement depuis quand, et personne ne sait pourquoi. Mais tout le monde sait qu’elle est impérative. Nous nous dirigeons tous vers FriendFeed ou nous nous souvenons que nous y avons un compte. Il y a quelques mois, nous nous étions élancés vers identi.ca pour ce qui avait été appellé le Big Swich. Le départ de ce déménagement semble avoir été un mouvement de panique : le service identi.ca offrirait des garanties suppérieurs à celles de twitter. Ce mouvement avait au moins l’excuse de l’idéologie : identi.ca est du coté de l’open source , twitter est une entreprise ce qui permet de retrouver les clivages classiques.

Le “média parfait” est (re)découvert par un blogueur influent. Il s’agit en fait d’une re-découverte par en sont temps, car l’usage de Friendfeed (et de Twitter) avait déjà suscité des interrogations. Mais cette fois ci, la découverte n’est pas entachée de crainte. A l’époque, la question était de savoir si on ne lâchait pas la proie (l’audience de son blogue) pour l’ombre (Friendfeed). En décembre 2008, Michel Arrigton faisait les comptes pour Robert Scobble : 2500 heures par an et 23.000 abonnés sur Friendfeed pour… “que dalle”

Le mouvement actuel vers Friendfeed est différent. Il est francophone, et il n’a pas de motif rationnel. C’est un mouvement de foule. Friendfeed répondrait a un “besoin de la blogosphère française de se fédérer“. AAAliens, propulsé par le moteur Pligg, correspondrait à un tel désir. Ensuite, le phénomène semble être francophone.

 

Il y a deux manières de le comprendre et elle sont sans doute complémentaires. La première est issue de l’analyse statistique, et la seconde de la psychologie.

 

L’influence, une fonction mathématique

Dans le premier cadre, l’influence peut être décrite comme une fonction mathématique.

On appelle beta  la probablité qu’une personne transmette une information a une autre (s’inscrire à Friendfeed). Si chaque personne informe z autres personnes, alors le nombre de nouveaux convertis générés par chacun est R = beta.z . Si R > 1, alors chaque personne touchée par le message aura tendance a le retransmettre à plus d’une personne supplémentaire qui fera à son tour la même chose, produisant une croissance exponentielle. C’est ce que l’on appelle un phénomène viral.Si R<1, le phénomène s’éteindra inexorablement. Si R=1, alors les choses peuvent basculer d’un coté ou d’un autre. On trouvera plus de détails dans le papier de Duncan Watts, Viral Marketing for Real World, mais l’essentiel est que passé un certain seuil, le mouvement se fait tout seul

 

L’influence, processus social

Dans le second cadre, on retrouve une vieille notion des sciences humaines et sociales. Psychologie des foules de Gustave Le Bon, ou Les lois de l’imitation de Gabriel Tarde, ou encore Psychologie collective et analyse du Moi de Sigmund Freud traitent de cette question. L’influence est un processus social qui rend compte aussi bien du naufrage de la raison dans la foule que des

Dans Psychologie collective et analyse du Moi, S. Freud montrera que les phénomènes de foule se réduisent à une série d’identifications et de substitutions. Les membres de la foules s’identifient les uns avec les autres et substituent leur idéal du Moi a la personne du leader. L’idéal du Moi est une instance psychique qui sert au Moi de référence quant à ses choix et ses actions. Parce que l’Ideal du Moi est d’origine narcissique, la substitution rend compte de la fascination amoureuse ou de la dépendance au leader.

Si l’influence est un des ingrédients de notre vie sociale, il semble qu’elle ne connaisse pas de frein sur Internet. La faiblesse du coût de l’engagement en est certainement une raison. En effet, il faut en moyenne moins d’une minute pour s’inscrire à un nouveau service et on a tendance à penser que “cela n’engage à rien”. Ce qui est perdu de vue – mais pas pour tout le monde – c’est la vision d’ensemble.  La seconde raison qui fait de l’Internet un lieu d’influence par excellence, c’est que nous n’avons pas une perception claire des autres comme autres. La porosité entre les individus est plus grande que dans l’espace géographique, et on l’on est davantage amené a prendre les conceptions de l’autre pour les siennes. La troisieme raison est que l’Internet est un espace social. Le copier-coller qui est une des chevilles ouvrières de l’Internet est la version digitale des phénomènes de contagion et d’inluence. Copier, c’est prendre avec et en soi un contenu de la même manière que s’identifier c’est assimiler en partie ou en totalité un objet.

Du point de vue individuel , le faire de migrer vers Friendfeed peut répondre à plusieurs exigences

1. Un désir de conformité. La conformité a une fonction groupale. Elle assure la cohésion du groupe et contribue au sentiment communautaire. Du point de vue individuel elle est à la fois une protection (je suis un parmi d’autres) et une menace (je ne suis qu’un parmi d’autres)

2. Satisfaire aux instances idéales. Les blogues influents et autres leaders d’opinion fonctionnent comme instances idéales. Ils assurent l’appareillage “vertical” de la communauté tandis que l’appareillage “horizontal” est assuré par la conformité

3. La défense contre l’angoisse. Il peut s’agit de l’angoisse d’abandon, particulièrement vive dans un espace ou la sociabilité est fortement idéalisée. Il peut également s’agir de l’angoisse de ne pas assister à quelque chose dont pourrait bénéficier les autres. Les rivalités fraternelles s’insèrent à ce point.

 

Quelques ressources

Psychologie collective et analyse du Moi Sigmund Freud

Les lois de l’imitation, Gabriel Tarde 

Psychologie des foules, Gustave Le Bon