Le siècle balbutie encore que déja nous sommes confrontés à des menaces majeures à propos de  notre environnement, nos énergies, et nos finances.

Ces inquiétudes ne sont pas nouvelles; elles ont été accompagnées par le cinéma : les comédies musicales ont fleuri autour de la crise de 1929 et une kyrielle de films ont accompagné les catastrophes sociales et environnementales de la fin du 20ème siècle.

Marcel Thaon, dans un texte remarquable, Le corps et le monde menace au tournant des années 80, a montré comment  la production cinématographique était fenêtre ouverte sur nos imaginaires individuels et collectifs. Le cinéma donne à voir les angoisses qui traversent la culture, et, dans le meilleur des cas, il contribue à leur élaboration. Les genres cinématographiques sont des élaborations défensives communes contre l’angoisse.

Que le cinéma mette en scène des dangers bien réels n’empeche pas qu’il redouble aussi des fantasmes individuels et groupaux. La régularité avec laquelle nous voyons des immeubles s’effondrer, des villes être rasées où l’humanité disparaître, dit tout autant l’inquiétude quant à la sécurité de l’environnement.  Est-il un contenant suffisamment solide ? Son contenu suffira t il encore à nous nourir ? Trop attaqué, nous dit Marcel Thaon, le contenant maternel explose en une multitude de contenus hostiles : hordes de zombies, insectes, aliens envahissent alors les écrans. Dans sa version dépressive, la terre, métaphore du sein maternel, est devenue improductive du fait de l’avidité des hommes. Leur activité, métaphore d’une relation incestueuse, l’a pollué, et les hommes se trouvent face a des rejetons monstrueux et haineux.

Le film fonctionne comme espace d’élaboration suspendue d’angoisses non résolues dans la réalité collective
[Il] tente de métaboliser ou du moins de contenir des incertitudes sur l’environnement qui ne peuvent être élaborées dans la vie quotidienne.

Une des sources de notre engagement sur le réseau procède des même mécanismes. Nous n’allons pas dans le cyberespace pour fuir une réalité qui serait devenue insoutenable. Le réseau est tout ce qu’il y a de plus réél. Nous y allons pour interroger ce qui dans notre réalité fait question. Olivier Auber a développé avec sa notion d’anoptisme une conception qui me semble être proche de ce point de vue. La perspective inventée par la renaissance dramatise qu’une nouvelle façon de voir était là en construction. L’anoptisme, le changement de perspective généré par le réseau, est sans doute du même ordre

La croissance spectaculaire du réseau, puis des sites (ou des silos, pour parler comme Oliver Auber) de réseaux sociaux, le fait qu’elle concerne tous les publics, des plus jeunes aux plus vieux, est une image de la fureur de lien dans laquelle nous sommes. Plus les liens du monde géographique sont attaqués, plus la vie sociale nous y semble difficile, plus nous faisons lien sur le réseau. Plus les inquiétudes sur l’environnement sont vives, plus nous nous précipitions en masse sur le réseau pour déposer, mettre en commun des angoisses et nous défendre contre elles. D’évidence, le danger est si grand qu’il ne peut trouver qu’une solution collective. Et d’évidence, nous n’avons pour l’instant que le réseau pour accueillir d’aussi grandes multitudes ((il est dommage que les gouvernement ne semblent pour l’instant que tenté par le coté coercitif du réseau, et ne perçoivent pas les ouvertures qu’il permet))

Aussi, je suis toujours surpris lorsque pour trouver les caractéristiques de l’addiction dans le jeu vidéo, quelques uns en viennent a donner… la socialisation. Ce qui serait in fine, au fond de l’addiction aux jeux vidéos, ce ne serait pas, comme cela a été dit, le rush des FPS ((First Person Shooter : Jeu de tir en première personne)) mais les liens que l’on tisse partie après partie. La guilde ! Voilà ce qui serait au coeur de l’addiction aux jeux vidéos.

Or c’est précisément cette capacité à faire lien que la toxicomanie attaque. Il n’y a pas de communauté de drogués et même dans les fumeries d’opium de la chine de la fin du 19ème siècle, chacun restait dans la solitude. Les relations sociales sont trop infiltrées par les sentiments de persécution et d’envie pour pouvoir se constituer en vie sociale. Etre toxicomane, c’est être dans un monde dans lequel la relation est incertaine, et l’autre d’abord un objet de jouissance : peut être a-t-il de l’argent pour ma dose ? le dealer sera-t-il au rendez vous ? Aura-t-il ce qu’il faut ? Ce qu’il aura sera-t-il bon ?

Le jeu vidéo n’a rien d’incertain. Au contraire, la vie y est toujours bien réglée. Une fois loggé, on sait parfaitement à quoi s’attendre : les caractéristiques et le comportement des Personnages Non Joueurs est parfaitement connu, de même que les caractéristiques des personnages avec lesquels on joue. Que chacun prenne sa place dans le ballet, voilà ce que propose le jeu vidéo. Ce n’est pas là quelque chose de caractéristique aux MMO. Tous les jeux vidéos sont des jeux ou le hasard est réduit au maximum. Le plaisir du gamer est un plaisir de maîtrise.

Par ailleurs, seule une vie sociale bien réglée permet de réaliser les hauts faits que l’on retrouve dans les MMO. Le coup parfait réalisé par la Guided Hand Corporation dans Eve Online((quelques uns de ces coups mémorables sont ont été décrits sur epsychologie)) et qui relègue [W:Ocean Eleven] au rang de plaisanterie de bac à sable n’a été possible que parce que les rôles et les fonctions des uns et des autres sont à la fois parfaitement reconnus, respectés et investis sur un temps suffisamment long. Ce n’est que parce que dans [W:Eve Online] certains ont accumulé suffisamment de richesses, que d’autres louent leurs services, même criminels, qu’une telle action a été réalisable. Même au niveau du  simple pickup group, le jeu n’est possible que si les rôles et les fonctions sont connues et respectées. Chacun sa place, et au bout, peut être, il y aura ce sentiment d’illusion groupale qui fait le sel des jeux de groupe.

Pour certains, de façon durable ou provisoire, le besoin d’étayage sur l’autre peut être extrêmement important. C’est le cas des personnalités narcissiques ou des états limites (border lines) pour qui le monde interne est vécu comme tellement vide que l’appui sur un objet externe est la seule issue imaginée comme possible. Cet appui peut prendre plusieurs formes : de l’ identification adhésive aux positions masochistes – il vaut mieux être objet de détestation que de se vivre comme rien du tout en passant par des investissements qui ont valeur d’aggripement. Certains empruntent la voie de la toxicomanie : l’objet toxique, a la fois parce qu’il est externe et parce qu’il procure des effets psychiques importants, vient colmater un espace psychique sérieusement mis à mal. D’autres peuvent prendre la voie opposée : le jeu vidéo est l’une d’elle. Il sera utilisé parce qu’il permet d’exercer un contrôle omnipotent sur un objet externe.

Faire du jeu vidéo, et plus particulièrement de la vie sociale qui se développe dans les MMO, une drogue, c’est d’abord transformer les tentatives d’élaboration de quelques uns en une pathologie. C’est ensuite méconnaître que pour le plus grand nombre, que ces mondes numériques, de WoW à Facebook en passant par Twitter sont des lieux de fabrication et d’invention de la subjectivité du 21ème siècle. Le réseau est pour les individus comme pour les institutions un appuis qui devient de plus en plus nécessaire; c’est un espace qui contient nos représentations; il est un lieu de stockage de nos mémoires; et c’est un lieu d’étayage des identités.

L’avenir appartient aux orcs (et aux taurens)