J’étais hier à la biblio pour une conférence sur les avatars, les jeux vidéos et la psychologie. Le début de la conférence a été un peu difficile car le chat vocal, testé pourtant préalablement, ne marchait pas pour moi. La conférence a finalement pu se faire grâce a une bidouille : j’ai téléphoné à @ et il a mis son téléphone devant son micro.
C’est le genre d’expérience que John Suler a appelé "The black hole experience" : vous faites quelques chose, et ça ne marche pas sans que vous sachiez pourquoi. Quelques minutes/heures/jours plus tôt, il vous semble que vous avez fait exactement la même chose : même mot de passe, même configuration… et cette fois-ci, sans que vous compreniez pourquoi, la machine se refuse a faire ce que l’on attend d’elle. Ces expériences sont si déplaisantes que certains se lassent et se refusent à utiliser des ordinateurs à cause des messages abscons qu’il reçoivent. Nous sommes des êtres de signification, et toute exposition prolongée a des situations qui ne prennent pas sens sont vécues comme angoissantes, et donc évitées.
Nous avons tous des "trous noirs" dans notre psychisme, et nous héritons même de certains d’entre eux. Les traumatismes collectifs : guerres, catastrophes naturelles, famines – en sont de grands pourvoyeurs. Ces trous noirs sont aussi les cicatrices des signifiants énigmatiques auxquels nous avons été exposés pendant notre préhistoire infantile. Enfin, comme sujets, nous sommes tous confrontés a cette exigence : fabriquer du sens.Toute expérience non signifiante est angoissante parce qu’elle nous met au contact avec ces trous noirs. L’ exigence de travail psychique qui en résulte est un appel auquel certains ne résistent pas. Ils y trouvent des occasions de retrouver ces expériences difficiles… et d’en venir à bout ! Par ailleurs, la confrontation à ce qui ne marche pas est aussi rencontre avec ce qui le "cassé", "l’abimé" en nous et sa réparation correspond à des opérations de réparation des objets internes. (I. Hermann,1943; S. Tisseron, 1999)
Il y avait a la biblio une quarantaine d’avatars. L’endroit est construit un peu comme le sénat dans Star Wars et je dois dire qu’il y avait pour moi quelque chose d’émouvant de voir toutes ces ambassades du Moi dans Second Life. Nos avatars sont nos représentations dans les mondes numériques. Ils peuvent avoir quelque chose d’excessif ou même d’outrancier. Mais il faut dire que leur travail n’est pas aisé. Nous ne sommes pas les bienvenus dans ces mondes en ligne. La logique des machine n’est pas celle des hommes, et les liens entre les hommes sont rendus difficiles du fait des caractéristiques du cyberespace. C’est pour cela que j’ai beaucoup d’admiration et d’affection pour ceux que les anglo-saxons appellent les "early adopters" : enfants nés trop tôt, ils sont mal accueillis dans ces mondes et pourtant, ils s’ entêtent, avec courage et avec raison, à les rendre habitables au plus grand nombre
Il y a mille et une autre choses qui mériteraient d’être reprises ici, mais je n’ai en tête que deux d’entre elles. Si la mémoire vous revient avant moi, faites moi signe.
Les consultations psychologiques dans Second Life
Une consultation psychologique ne peut se faire que si la confidentialité des échanges est garantie. Dans Second Life, s’il est possible de réserver un canal audio ou textuel a quelques utilisateurs, cette garantie n’est pas le fait du thérapeute mais de Linden Labs. Il y a donc un tiers qui entre en jeu dans le contrat entre le psychologue et le client/patient. La situation est très différente de ce qui se passe avec le téléphone : dans les mondes numériques tout échange est un échange qui est enregistré sur des serveurs. La trace peut donc en être retrouvée et utilisée à des fins qui ne correspondent pas aux intentions de départ des différents protagonistes
Une consultation psychologique nécessite également … un psychologue. Il est nécessaire de pouvoir s’assurer des compétences de celui à qui l’on s’adresse en ligne. En France, tous les psychologues ont un numéro ADELI – l’acronyme aurait pu être mieux choisi – qui garanti que celui à qui l’on s’adresse a les diplômes requis pour travailler comme psychologue
Les avatars sont des objets différenciateurs
Nous mettons nos avatars comme nous mettons des vêtements. Les avatars disent nos mouvements internes, des plus conscients au plus inconscients. Chaque avatar nous différencie également des autres. Ce sont des points importants, car ils prédisposent le type de sociabilité que l’on peut avoir en ligne. Par exemple, sur 4chan.org, l’avatar de base est utilisé par le plus grand nombre. Chacun est donc "Anonymous" et s’adresse à un autre "Anonymous" identique à lui même. La sociabilité qui y règle est syncrétique et les mouvements de désirs restent peu élaborés : on aime, on hait et on se laisse aller a ses pulsions sans le moindre mouvement de culpabilité.
Nos avatars sont également des objets différenciateurs non pas par rapport aux autres mais par rapport à nous même. Plus nous fréquentons un avatar, plus nous avons des chances de comprendre pourquoi nous l’avons choisi. C’est pour cela que nous aimons souvent passionnément un avatar, pour l’abandonner quelques temps plus tard. C’est que la position imaginaire qui soutenait l’investissement de l’avatar n’est plus aussi active, et l’on peut donc passer à autre chose… ou à un autre avatar.
Salut Yann c’était un plaisir de t’accueillir pour cette conf a la biblio!
Pour ce qui est des problèmes techniques malheureusement cela fait parti du jue. Surtout dans ces univers virtuels qui sont encore en version Beta :)
J’espere que cela t’a redonné envie de te plonger dans les mondes virtuels.
PS: Il y a eu plus de 50 personnes hier soir !
Merci pour cette conférence en ligne, très claire et éclairante. J’en retiens essentiellement une notion de positionnement de soi par rapport à son ou ses avatars, et une notion d’investissement personnel, de désir investi, dans la relation entre ces représentations. De la nature de cet investissement dépendent les rétroactions de l’avatar sur son créateur, émetteur… au fait, comment appelle-t-on l’être humain du point de vue de son avatar ?
Yann,
C’aurait pu être le trou noir , mais ce fut la lumière d’une fabuleuse soirée.
Jamais encore une soirée importante ne s’est passé comme prévue…et pourtant chaque fois les choses passent et il se passe quelque chose, en s’adaptant dans l’instant aux choses qui se présentent, différentes de l’idée qu’on s’en fait mais à l’arrivée avec plus de soixante avatars complètement sous le charme.
Merci et à très bientôt
:-)) warning (delete after reading): ceux qui signent avec un identifiant SL rajoutent 10 participants à la conf à chaque commentaire !
+ c bien Coulaut Menges qui tenait le micro de l’autre coté de la lune (@)
Merci pour votre intervention hier soir. J’ai eu cependant du mal à comprendre pourquoi il fallait de la confidentialité.
Vous revenez ici sur cette question. Je ne pense pas qu’on puisse faire des consultations dans Second Life mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi SL ne pourrait pas servir de terrain d’expérimentation, d’espace de transition entre ce qui se vit dans la tête d’un patient et le monde réel.
Je ne suis pas psychologue mais il me semblait qu’un patient pouvait avec profit se confronter à ses peurs dans un monde virtuel (Agoraphobie par exemple ou difficulté d’identification ou…) Il me semble que l’on parle de thérapies comportementales.
Pourquoi ne pas utiliser SL comme une phase d’expérimentation avant de le vivre dans la vie réelle.
Est-ce absurde ?
Bonjour,
j’ai écrit un article sur votre conférence sur mon blog. Merci de me corriger si je n’ai pas bien retranscrit votre pensée !
C’était très intéressant.
Je suis content que cela vous ait plu. Oui, je me retrouve bien dans votre compte rendu ! Cette conférence sur SL était très agréable !