http://media.strategywiki.org/images/f/f8/Tekken_5_Boxart.jpgUne des grands intérêts des interventions publiques est qu’elles amènent a penser et penser encore un sujet que l’on pense connaitre. Sur l’invitation de Jany Moreau, je me suis livré à cet exercice à la médiatéque du Bout des Landes de Nantes

Le lieu, ou plus exactement son nom, est déjà une   Pour moi, les landes se situent au sud de Bordeaux ou du coté des terres écossaises. Qu’un endroit soit “au bout des landes” du coté de Nantes était pour moi une curiosité stimulante. Le dépaysement !: voila quelque chose qui va parfaitement aux mondes numériques et aux jeux vidéo

Un mot sur le très sympathique accueil de l’équipe d’animation. C’était vraiment un plaisir de se retrouver au milieu d’un groupe dont la passion pour leur travail était sensible. J’ai également eu le plaisir de revoir Julien Paugame qui représentait l’association Les pieds dans le paf et qui a apporté des points de vue supplémentaires aux miens

Le public était constitué principalement de parents et il nous a paru intéressant de commencer l’invervention par par une démonstration. Cela m’a valu de prendre une raclée a Tekken 5 mais cette défaite n’est due qu’au fait que je n’avais pas eu le temps de prendre en main le jeu et je suis sur qu’avec un bon Panza Kick Boxing, le résultat aurait été tout autre. Mais le but de la démonstration était surtout de donner a voir que jouer avec un jeu vidéo confronte a toute une série d’habilités et de choix. On a souvent pointé que les jeux vidéos amélioraient la coordination visuo-motrice, mais ce n’est pas là quelque chose qui leur est spécifique. L’avènement de la télévision a aussi provoqué une bien meilleure construction de l’espace en l’image en trois dimension. Ce qui me semble spécifique aux jeux vidéo, c’est leur  complexité.

Même un jeu aussi simple que Tekken se révèle complexe lorsqu’on y regarde d’un peu plus près. Chaque personnage a son histoire qui est racontée dans les cinématique du jeu. Chacun à un style de combat qui lui est spécifique, avec ses forces et ses faiblesses, et chacun a une apparence qui lui est particulière. Chaque joueur s’appuie sur ces éléments pour construire ses choix et ses préférences.

Mais ces éléments ne font que refléter une partie de son monde intérieur : il est des joueurs qui ne veulent pas jouer avec des personnages féminins et d’autres qui ne veulent rien savoir du combat a distance : l’honneur est dans le corps à corps ! Se disent ici des modalités de relation à l’autre, au corps, au sexe qui sont à la fois préconscientes et inconscientes. Ce sont ces modalités qui sont mises au travail partie après partie. L’exploration des différentes parties du jeu – la prise de connaissance de l’histoire des personnages et la reconnaissance de détails de leurs équipement, l’habilité au gamepad – est une exploration de la géographie psychique personnelle. Chaque personnage dont on découvre de nouveaux éléments, chaque découverte d’un compartiment de jeu  signe la diminution des défenses inconscientes et une meilleure prise en compte de la réalité.

Finalement, pourquoi jouons nous ? Pour éprouver des sensations, pour nous mesurer avec d’autres, pour être quelqu’un d’autre, et pour se confronter au hasard. On aura reconnu les catégories données par Roger Caillois :  l’illinx, l’agon, la mimicry et l’alea.

Illinx : Les jeux vidéo sont de grands pourvoyeurs d’émotions. Ils utilisent pour cela plusieurs canaux. Avec les images, ils plongent profondément dans les imaginaires collectifs et individuels. Le sonore est aussi mis à contribution pour provoquer des émotions, que ce soit la surprise ou la tristesse, ou pour mettre en place une ambiance particulière. Enfin, la narration est le troisième canal : coups de théâtre, retournements de dernière minutes

Agon : Les jeux vidéo nous permettent de nous mesurer avec les autres, et de façon très fine puisque la plupart des jeux ont maintenant un ladder qui permet a qui le souhaite de se situer dans la hiérarchie des joueurs

Mimicry : les jeux vidéo nous permettent d’être quelqu’un d’autre. Voir l’attaque de l’Etoile de la mort au cinéma est sans aucun doute enthousiasmant. Faire partie de l’attaque aux commande d’un X-Wing est tout une autre aventure. Le jeu vidéo permet par ailleurs de modifier les points de vue : on peut faire partie d’un escadron de soutien, ou même faire partie des forces de l’Empire. Ce que le jeu vidéo apporte, c’est une expérience, et cela, aucun autre média ne le fait.

Alea : avec les jeux vidéo, il est possible de se soumettre à l’épreuve du hasard. Jouer avec l’imprévu est une part importante du plaisir de tout jeu. Il s’agit alors soi de s’en rendre maitre grâce a sa dextérité ou au déploiement de stratégie, soit de s’en remettre totalement a lui

 

Ce sur quoi je tente de mettre l’accent, c’est que les jeux vidéo sont des objets avec lesquels on peut valablement penser. S’ils sont si souvent mal considéré, c’est que la dimension plaisir est si visible qu’elle suscite immédiatement la réprobation parentale. Les parents ont parfois un autre type de réaction. Ce n’est plus la réprobation qui frappe les activités infantiles, mais l’idéalisation. L’enfant sait merveilleusement se servir des jeux vidéos. Il connait intimement et naturellement le langage des machines, et sait disposer de leur puissance.

Ce qui est ainsi décrit est loin de la réalité : aucun enfant apprend quoi que ce soit tout seul ! Ce qui est décrit, c’est le fantasme d’un enfant merveilleux branché à une mère tout aussi merveilleuse. Toute personne ayant bénéficié d’un environnement suffisamment bon a vécu de tels moments : le désir est satisfait au moment même ou il est formulé. Mieux : sa satisfaction donne en même temps sens à ce qui était en attente et commençait à être en souffrance. “C’était donc cela qu’il me fallait et je l’obtient au moment ou je le pense” ((L’arrivée des ordinateurs “personnels” dans les années 1980 a eu cet effet pour toute une génération))

Ce fantasme individuel trouve un correspond dans l’espace social avec l’image du script wizard : un enfant, généralement esseulé, manipule les matières numériques et prend le contrôle dun Big Brother ou dissémine dans le cyberespace des objets malfaisants. D’autres bâtissent des empires financiers et font fortune. On aura reconnu David Lightman, personnage du film Wargames ((dans la grande tradition du cyberespace, la net culture a récupéré des éléments du film en faisant par exemple d’un personnage du film, Stephen Falken, un utlisateur du système d’exploitation NetBSD, floutant ainsi les frontières entre la réalité et l’imaginaire)), un script kiddies ou encore Bill Gates et Steve Jobs

 

 

Comment ne pas se rappeler ici Michel de Certeau : "Des récits marchent devant les pratiques sociales pour leur ouvrir un champ” ou Abraham Moles pour qui des "mythes dynamiques” courent sous les innovations techniques ? Ces mythes ne sont pas si différents de celui de l’enfant sorcier : un enfant en contact avec les mondes invisibles (numériques), parlant aux esprits (machines), ayant l’apparence d’un enfant et la maturité d’un ancien (il en sait plus qu’on ne le pense)