Depuis le premier réseau (ARPAnet, 1969) le monde numérique n’a pas cessé de se développer et de se mélanger avec l’espace géographique, posant à chaque fois de nouvelles questions qui concernent le commerce, l’identité, le droit, l’éthique… Ces mondes numériques ont des particularité qu’il faut prendre en compte :

1. Ce sont des mondes de la trace. Chaque événement laisse une trace, plus ou moins durable. Cette trace, relevée par un sujet humain, fait histoire, et peut être utilisée pour nourir des conversations.

2. Ce sont des mondes de la multitude. Beaucoup de commentateurs ont mis l’accent sur la struture horizontale du réseau. Elle s’opposerait a la structure verticale des médias pré-internet. L’Internet est le monde du "Many to many" disait Howard Rheingold et c’est un monde dont les multitudes nécessitent quelqu alchimie (E. Pisani 2007)

3. Ce sont des mondes de l’intertextualité. Même le développement de la bande passante n’a pas mis fin a l’hégémonie du texte sur Internet. D’abord parce que les moteurs de recherche ne savent pas encore traiter autre chose que du texte. Ensuite, parce que le texte se montre bien plus flexible qu’une vidéo. Un texte peut se lire en diagonale. Une vidéo est encore assujetie a cette bonne vielle temporalité.

 

Le développement du réseau est tel qu’il est aujourd’hui ubiquitaire. Des dispositifs comme le téléphone, les réseaux wifi, permettent d’accéder relativement facilement au réseau pour peu que l’on s’aquitte de l’abonnement nécessaire, et/ou que l’on soit dans une zone urbaine. Le coté ubiquitaire ne concerne pas seulement l’accès au réseau. Il concerne aussi ce que l’on met à disposition sur le réseau : les sites de partage de vidéo, de photos, de podcasts, et les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés pour mettre en ligne des contenus "privés"

 

Dire que l’on est malade sur Twitter est-ce privé ou public ? Chercher des éléments de connaissance sur une maladie, est ce privé ou public ?

 

Google a récemment mis en ligne un document montrant que les recherches effectuées sur son moteur de recherche par les internautes américains suivent les variations saisonnières des épidémies de grippe. Cela n’est pas a première vue surprennant : il y a plus de probabilité d’effectuer des recherches sur la grippe lorsque l’on est affecté – soi-même ou un proche – par cette maladie. Là ou les choses sont plus étonnantes, c’est que les courbes de recherche de Google anticipent de 15 jours les données recueillies par le sentinelles des services de santé du gouvernement américain.

On a également pu mettre en évidence en utilisant les fonctions de géolocatisation des taxis new-yorkais que les traders arrivaient plus tardivement au travail lorsque la bourse était en berne

Le fait que tant de choses deviennent traçables et interrogeables les transforment. C’est une chose que de faire une requête sur un moteur de recherche. Cela en est une autre lorsque cette requête est faite par une multitude. C’en en encore une autre lorsque l’interrogation de ces données fait apparaître des éléments de santé publique. Ce que Google a mis en évidence, c’est un bien commun. Une partie des données qu’il recueille ne lui appartiennent pas, pas plus qu’elle n’appartient a quelqu’un de particulier. Ce sont des données qui appartiennent à tous : un bien public. Il serait sans que l’on définisse un bien public en ligne qui rappellerait, pour reprendre une formule qui a fait florès, que nos vies sociales ne sont pas des marchandises.

 

Coté patients

Certaines données personnelles sont mises en ligne avec comme idée générale le partage d’information et le regroupement autour d’une difficulté ou d’une pathologie particulière. Ce n’est pas là une chose nouvelle. Assez rapidement, les groupes en ligne ont été mis à contribution pour échanger a propos de pathologies. Que ce soit sur le web ou sur Usenet, des personnes se sont regroupées autour d’une difficulté commune : l’anxiété, la phobie, les psychoses, les abus sexuels, les violences… L’Internet facilite un mouvement naturel : parler de soi, parler de sa maladie est un désir  que chacun a en soi.  Ce mouvement a été en plus accéléré par  des éléments de culture. Aux USA, les groupes de parole, dirigés par un psychothérapeutes ou non, et les technique de self-help sont fréquemment utilisées pour soutenir ou soigner.Le principal intérêt de ces groupes est de rompre l’isolement. Parler a d’autres qui vivent la même chose que vous est une aide parce que cela reconnait comme valide ce que chacun vit ou a vécu. Entendre d’autres permet de se préparer aux difficultés à venir. Enfin, entendre les témoignages de malades permet d’approcher une vérité banalement humaine que l’univers médical ne peut pas prendre en compte. Il faut sans doute faire le distingo entre les pathologies dont l’évolution est connue et certaine, et celles dont le pronostic est plus ouvert. La participation à ces groupes permet de se faire une image plus précise de la maladie en générale, et la façon, toujours intime, particulière, dont chacun la vit

Le Web 2.0 reprend cette dynamique en la sophistiquant : les données sont clicables; il est possible d’afficher des graphiques de son état de santé ou de son traitement, et de trouver a partir de là d’autres personnes ayant des points communs.  Le Web 2.0 a aussi apporté la commercialisation de pratiques qui jusque là étaient rendues possible grâce au travail de quelques bénévoles qui assuraient la maintenance des services. Des sites comme patientslikeme.com sont appelés a se développer comme est appelée a se développer l’apparition sur les réseaux sociaux (facebook, twitter, seesmic, youtube…) et les blogs de plus en plus de données concernant la santé.

En médecine, je n’ai pas connaissance d’un programme de soin qui utiliserait un service web 2.0 dans le suivi des malades. C’est sans doute idée a explorer car cela offrirait une modalité de subjectivation supplémentaire de la maladie – on sait qu’en cancérologie par exemple, c’est un point important – et un point de contact supplémentaire entre l’équipe soignante et le patient. En psychiatrie, les expériences se sont faites dans le sens de la télémédecine. Cela a permis des suivis psychiatriques dans des zones rurales ou un suivi classique aurait été difficile. En France, une expérimentation intéressante a été faire par le docteur Guy Gozlan et son équipe qui a utilisé des SMS pour être et rester en contact avec les adolescents qui est une population très difficilement atteignable. Ils travaillent aujourd’hui sur le projet Prépsy

Mettre des mots sur sa souffrance, que ce soit en ligne sur un blog , un réseau social ou un forum c’est déjà un soulagement. C’est un soulagement parce que cela introduit un écart avec avec la douleur ou l’angoisse. C’est aussi un soulagement parce que des paroles de soutien ne tardent pas à venir. Mais un soulagement n’est pas un soin. Il est souhaitable, dans des cas précis, d’indiquer a la personne des ressources vers lesquelles elle peut se tourner. Je pense par exemple aux messages indiquants un désir suicidaire qui doivent faire l’objet d’un traitement immédiat.

Ces espaces de rencontre ne peuvent être pleinement efficace que si chacun se sent suffisamment en sécurité. Il faut donc des règles de fonctionnement qui soient explicitées – comme par exemple celles de healingwell.com – et il faut que ces règles soient maintenues par les administrateurs.

 

Coté praticien

Le praticien est concerné a plusieurs reprises par les données personnelles en ligne

Il est concerné une première fois parce que son activité peut être notée par ses patients comme sur le site ratemedecinedoctors. Il l’est parce que le patient consulte avec des connaissances – exactes ou erronées – qu’il a glané en ligne. Il l’est, enfin, parce qu’il détient des données concernant ses patients. Cela peut introduire des éléments supplémentaires dans la relation patient/soignant, le soignant étant en quelque sorte "supervisé" par le web. Chacun de des actes est alors vérifié par Google ou des forums qui servent alors de juge de paix, indiquant au patient si son soignant est "bon" ou "mauvais". Je ne sais pas comment les médecins s’en débrouillent. Dans le cadre d’une psychothérapie, cela reste tout à fair gérable : le manque de confiance envers le thérapeute, la nécessité de dire ailleurs que dans la psychothérapie, la mise en concurrence du thérapeute avec le peuple des forums se résorberont petit à petit. C’est dans le fantasme du patient qu’il peut y avoir une concurence entre le thérapeute et le web, pas dans la réalité.

Etre noté en ligne ne me semble pas être un problème. C’est là somme la reprise en ligne d’une pratique sociale qui existe depuis bien avant Internet. Chaque praticien a une réputation, bonne ou mauvaise et chaque patient cherche a rencontrer les "bons" praticiens et cherche à éviter les "mauvais" Céder à l’imaginaire de la transparence me semble par contre plus gênant. Un service comme Reputation Defender peut très bien assurer une veille sur une identité en ligne et assurer qu’elle soit exempte de commentaires négatifs.

Les données obtenues via Internet par les patients ne me semblent pas non plus être un obstacle au travail possible. Avoir une information sur une psychopathologie, les différentes modalités de traitement et leurs prix peut aider le patient à décrire ce dont il souffre, la technique de psychothérapie qu’il souhaite utiliser et le prix qu’il souhaite mettre dans ce traitement. Bien sûr, les données dont il dispose peuvent être parcellaires. Elles peuvent même être erronées. C’est que, en même temps qu’il dispose d’une information, chaque patient se forge une image de ce dont il souffre. Il n’a pas une information extérieure et objective. Il en a une image

Les données conservées par le clinicien sont sans doute le point qui méritent le plus d’attention. Nous avons tous sur nos ordinateurs des comptes rendus de séance, des bilans, des résultats de tests psychométriques ou projectifs. Un programme comme psyclic permet de gérer l’ensemble de ces données. En France, la pratique du psychologue  n’est pas aussi encadrée par des guides de "bonne-conduite" que dans les pays anglo-saxons. Que pouvons nous, que devons nous garder sur nos ordinateurs ? Pendant combien de temps ? Doit-on formaliser les écrits concernant la pratique du psychologue ? Comment ces données sont elles protégées ? Par le mot de passe Windows ? Par un logiciel de cryptage ? Par une cléf biométrique ?

Pour les psychologues, les modifications apportées par le web concernent surtout la pratique clinique en ligne. En France, c’est une pratique encore éparse, pratiquement honteuse, et encore aux stades des tâtonnements et de l’expérimentation. Il semble que nous ayons du mal a utiliser l’expérience des collègues américains et a en tirer des enseignements. Que nous est il possible de faire en ligne avec un patient ? Un travail d’orientation est il possible ? Peut on conduire une psychothérapie par mail ? par chat ? sur un forum ? A quelles conditions ?….