J’ai été contacté a la fin de l’année dernière pour participer au MOOC @ddict. L’initiative m’a été présentée comme un espace de reflexion commun sur les pratiques numériques. Une synthèse serait alors faite sur l’état des connaissances du moment Il m’a été proposé de présenter les pratiques numériques des jeunes sur le réseau. Du fait du nom, j’ai proposé de montrer qu’il n’y avait pas d’addiction au numérique. Il me semblait que c’était là une belle occasion de discuter avec les addictologues qui avancent la thèse opposée.

A ma grande surprise, cette proposition n’a pas été retenue. Le MOOC s’est déroulé et les organisateurs ont toujours pas publié leur synthèse sur la question.

De mon point de vue, il s’agit d’une stratégie de communication bien réglée. Un gros titre attire l’attention des média et donc du public … qui retient que qu’il y a bel et bien un problème de santé publique avec le numérique

Le double langage des addictologues

Le double langage des addictologues apparait clairement dans le programme de formation du MOOC @ddict et dans le poster d’information de l’INPES

Le MOOC @addict était organisé sur plusieurs semaines de formation :

  • Semaine 1 : qu’est ce que l’addiction ? Y a t il des addictions comportementales ?
  • Semaine 2 : Moi et le numérique
  • Semaine 3 : Soi connecté
  • Semaine 4 : Fabriquer l’addiction
  • Semaine 5 : Y-a-t-il des dealers du numérique ?
  • Semaine 6 : Bien vivre avec l’Internet

Il manque UNE chose importante : une définition de l’addiction au numérique ! Comment peut-ont faire un MOOC qui se nomme “@adict” (avec la belle arobase tellement ‘90) et ne pas prendre le temps de définir ce dont on parle ? Mais si l’addiction au numérique n’est pas définie, la question de savoir s’il existe des “dealers du numérique” est posée. Un dealer est un vendeur de drogues illicites S’il y a des dealers du numérique, c’est alors que le numérique est une drogue.  La dernière semaine “Bien vivre avec l’Internet” verrouille le dispositif. On apprend a bien vivre avec une maladie. On apprend a bien vivre avec l’alcool. On apprend à bien vivre avec une dépendance. On apprend à bien vivre avec le numérique..

La même stratégie est utilisée par le poster de l’INPES. “Alcool, cannabis, cocaïne, ecstasy, jeux vidéo, tabac. Il existe un endroit pour en parler et faire le point”. Personne ne dit que les jeux vidéo sont une addiction, mais ils sont dans un nuage de mots qui sont liés à l’addiction. Par un effet de contamination sémantique, le sens qui est donné est clair : les jeux vidéo font partie de la famille des addictions. L’INPES fait preuve d’un curieux manque de mémoire puisque l’on peut lire sur son site qu’il ne s’agit pas d’addiction mais de pratiques excessives. Là encore, même stratégie : un gros titre qui rapproche les jeux vidéo de produits psycho-actifs, dans les replis de la communication, un propos tout à fait opposé.

L’addiction au numérique va de la toutologie à la rienologie

Lorsqu’il s’agit de numérique, les addictologues se contentent souvent trop de métaphores comme démonstration. Du point de vue rhétorique, ils ont raison. La métaphore est un outil puissant qui permet de se former rapidement une image. Du point de vue vue scientifique, ils ont totalement tort. Comparaison n’est pas raison. Ce n’est pas parce que deux phénomènes sont rapprochés dans une formule linguistique qu’ils sont similaires.

Je comprends que les addictologues tardent à donner une synthèse de leurs travaux. Soi il donnent une définition large de l’addiction au numérique. Dans ce cas, le premier digiborigène venu est un malade qui s’ignore. Soit il en donnent un définition restrictive, et ils font disparaître l’idée d’une addiction au numérique. Ils sont soit des toutologues qui voient des maladies partout, soit des rienologues c’est à dire des spécialistes d’une addiction qui n’existe pas.

L’exemple de Marck Griffith 

Dans la littérature sur l’addiction au numérique, Griffith est un auteur important. Il est un des pères de l’addiction au numérique. Il est le premier auteur qui rapproche le jeu d’arcade avec la dépendance aux jeux d’argent et de hasard. Aussi son évolution sur la question mérite d’être prise en considération.

Le regard qu’il porte sur 25 années d’études sur l’addiction au numérique est globalement négatif : la plupart des études ont des biais méthodologiques majeurs, que les instruments utilisés manquent de sensibilité, qu’il est difficile d’être assuré qu’ils repèrent les sujets qui ne sont pas addicts et qu’elles sont basée sur les critères de l’addiction au jeu d’argent et de hasard.  Cela signifie que les addictologues utilisent un thermomètre dont on ne sait pas s’il mesure bien la température et dont ne ne sais même pas s’il sait faire la différence entre une personne fiévreuse et une personne non-fiévreuse.

Deux questions au MOOC @addict

Il n’y a guère qu’en psychologie que l’on peut maltraiter aussi grossièrement et aussi longuement la pensée scientifique ! Comment expliquer le rapprochement entre le jeu vidéo et le jeu d’argent et de hasard alors que dans leur pratiques banales les joueurs de jeux vidéo ne gagnent pas d’argent et font tout pour diminuer la part de hasard ?

Si les biais méthodologiques se répètent depuis maintenant 25 ans, ne faut il pas y voir une stratégie délibérée visant a construire l’addiction numérique ?

Je souhaite vivement qu’en France les addictologues qui s’intéressent au numérique fassent preuve honnêteté et de transparence. Cela commence par donner des réponses aux questions qu’ils se posent et de se poser LA question qu’ils évitent. Je les reprécise pour ceux qui auraient pu être distraits :

  1. Y-a-t-il des dealers du numérique ?
  2. Y-a-t-il une addiction au numérique

Références :

Daria J. Kuss and Mark D. Griffiths. 2012. Adolescent online gaming addiction. Education and Health30(1),15-17. PDF