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Jean Veronis a mis sur son blog des données extraites de la blogosphère francophone que l’on peut facilement transformer en nuages de mots avec Wordle. Ces données sont celles des blogues suivis par Wikio durant les 8 derniers mois.

Linkfluence, qui avait montré son savoir faire à l’occasion des primaires américaines, a mis en place l’outil du laboratoire Wikio. Il permet de visualiser la blogosphère francophone, de voir les différents aggrégats. Il est possible de jouer avec le dispositifs, et de ne faire apparaître que certains types de liens. et de modifier le facteur de zoom. En cliquant sur un blogue, on fait apparaître  son voisinage. Il y a là des mondes entiers, et ce n’est pas une image que de dire que chaque blogue est un univers.

Les sciences humaines et sociales trouvent là des occasions de travail et quelques interrogations. Des occasions de travail parce que l’internet est un laboratoire social à ciel ouvert. Ce que nous faisons laissent des traces qui peuvent être récoltées pour analyse. Le nombre de RT sur Twitter, de Reply-to dans une liste de diffusion ou de liens dans la blogosphère permettent de faire des observations très intéressantes

Au sortir de la guerre, Jacob Moreno avait exploré la dynamique des groupes en dessinant des "sociogrammes". Il demandait a chaque membre du groupe de citer les trois personnes qu’il aimait le plus et il en traçait le graphe. Cette méthode des sociogrammes a trouvé avec les mathématiques en général et la théorie des graphes en particulier une vérification depuis Cartwright et Harary qui montrent en 1956 que les sociogrammes peuvent être explorés mathématiquement.

Dans les années 1950, Stanley Milgram ((Travers, Jeffrey & Stanley Milgram. 1969. "An Experimental Study of the Small World Problem." Sociometry, Vol. 32, No. 4, pp. 425-443))a montré au cours de plusieurs expériences qu’une lettre pouvait traverser les Etats-Unis et atteindre son destinataire en 6 bonds en passant juste par le réseau de connaissances sans que l’envoyeur et le destinataire final ne se connaissent

En 1973, Mark Granovetter a montré qu’un chercheur d’emploi avait plus de chance de trouver du travail en s’appuyant sur les amis de ses amis. Il a imagé cela par une formule désormais célèbre : la force des liens faibles ((Contrairement à ce que certaines dérives néolibérales voudraient nous faire croire, cela ne signifie pas que les liens doivent être faibles : un réseau primaire de liens doit exister pour qu’il y ait des amis d’amis))

Depuis, on a pu montrer que les logiques de réseaux fonctionnaient a différents niveaux. Du développement d’une épidémie au fonctionnement du cerveau, d’un réseau électrique à la distribution des rôles à Hollywood en passant par le web, les mécaniques sont les mêmes et peuvent être décrits à l’aide de quelques variables. Nous n’en sommes pas encore à la psychohistoire chère à Harry Sheldon, mais la théorie des graphes permet d’explorer des systèmes hypercomplexes et de dégager des quelques lois de fonctionnement… Par exemple, la loi de puissance : les acteurs les plus puissants d’un réseau deviennent de plus en plus puissants nous lance un terrible défi. Arriverons nous a venir à bout de la tyrannie du nombre en y opposant la qualité des relations ?

Parmi les occasions de travail que les sciences humaines et sociales peuvent trouver : la façon dont un espace est colonisé, la naissance de rites de socialisation et d’exclusion, la mise en place de barrières discriminant les sexes, les âges, les catégories sociales, les luttes idéologiques… C’est aussi l’occasion de voir de vieux rêves prendre (presque) forme. J’étais a moitié sérieux en évoquant Fondation et Harry Sheldon, mais on voit avec le réseau, son omniprésence, son extension aux objets, prendre forme que quelque chose que Pierre Teihard de Chardin et [W:noosphère],Gaston Bachelard et sa radiosphère ou encore Joel de Rosnay et son [W:cybionte]ne récuseraient pas. Enfin, nous avons la possibilité d’observer l’ecart entre les idéologies – l’internet est un espace ou les liens sont créés librement – et la réalité – la probabilité qu’une page reçoive un lien est liée à son nombre de liens

Mais il y a aussi des motifs d’inquiétudes. Il est fascinant de trouver une continuité des briques de la matière aux constructions sociales. Il est fascinant de se dire que quelque soit le réseau considéré, on trouve les même mécanismes. Les sciences humaines trouveraient a la fois de nouveaux objets et enfin, aux yeux de quelques uns, une solidité méthodologique au travers de ces géniaux bricolages mathématiques.

Il reste qu’une idéologie court au travers des méthodes, et l’analyse des réseaux sociaux n’y échappe pas. Les notions de "loi du plus fort", de "vulnérabilité", d’ "émergence" attestent d’une darwinisation de la discipline. L’informatique serait une nouvelle nature ou les espèces s’affronteraient ; une main invisible sélectionnerait les plus forts et ferait émerger des processus intelligents. Auto-organisation serait ici le maître mot.

Ou est le danger ? Il est dans la naturalisation des relations de pouvoir : les organisations humaines peuvent fonctionner comme un réseau électrique il n’en reste pas moins qu’elles sont des organisations humaines. Les pouvoirs qui s’y exercent ne sont pas naturels mais des constructions communes et communément maintenues. Ils peuvent donc être contestés et même renversés.