Je serai demain à Périgueux pour former des éducateurs aux mondes numériques. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur car je constate que l’écart entre les professionnels de la relation et les personnes dont ils ont la charge se creuse sur ces questions.

Souvent, les mondes numériques sont perçus comme des terres de danger. L’histoire du Tigre a beaucoup frappé les esprits, et beaucoup imaginent que la vie de chacun est mise à nue sur le réseau. Beaucoup n’en comprennent pas les logiques et y voient soit une perte de la subjectivité dans le collectif, soit une prime aux narcissismes. Curieusement, alors qu’ils sont formés à la relation, ils voient mal que le réseau est avant tout une histoire de liens.

En désertant le réseau, les professionnels de la relation appauvrissent l’ensemble de l’espace public. Si vous voulez savoir ce qu’est un éducateur en France et quel est son travail, vous aurez quelques bribes de réponses sur Wikipedia. Qu’est ce qu’une AEMO ? Qu’est ce qu’un SESSAD ? Qu’est ce que une mesure éducative ? Qui la demande ? Qui la donne ? Qui y met fin ? Et si vous voulez comprendre ce qu’est le travail d’un psychologue, d’une assistante sociale, d’un éducateur de l’intérieur,  c’est encore pire. Nous n’avons pas encore de Maitre Eolas dans nos rangs. Pour ce qui est des institutions, c’est simple : elles sont silencieuses ou se présentent dans une posture institué qui décourage toute tentative de dialogue. D’ailleurs, les questions institutions éducatives ou de soin qui existent ne prennent pas la peine de mettre un bouton <répondre> à leurs articles.

Les matières numériques intéressent pourtant les professionnels de la relation à plusieurs titres.

1. Le réseau est ubiquitaire. Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit satisfait ou non, le réseau est une réalité quotidienne. Certes, il ne l’est pas pour tout le monde : ceux qui bénéficient de l’aide sociale ne sont pas tous équipés d’un accès Internet. Mais justement, pour ceux-là, il est important de les amener et les initier au réseau. Le réseau est une ressource importante, en termes d’emploi, mais surtout de contenus culturels et de liens. Ce n’est pas pour rien que le réseau fait partie des nécessités pour les sans abris de Los Angeles.

Pour ceux qui ont un accès au réseau, la question se pose autrement. Les services sociaux vont nécessairement être au contact des débordements de quelques uns : le cyberbullying et le sexting font régulièrement les gros titres des journaux américains. On a là quelque chose de plus consistant que l’addiction aux jeux vidéo, et il serait souhaitable que les éducateurs sachent un peu de quoi il s’agit pour ne pas plonger dans la panique morale. Dans le même genre d’usages problématiques du réseau, on peut encore citer les sites pro Anna et pro Mia. Ne serait il pas souhaitable de voir quelques éducateurs poster des commentaires avec des liens vers des services de soin et des pages de conseils plutôt que de laisser s’organiser des discours aberrants ?

Le réseau est un lieu de socialisation : on y fait des rencontres, on s’y lie, on s’y délie, on s’identifie et on se désindentifie…Laissés à eux seul, les plus fragiles l’utiliseront nécessairement dans le sens de leurs symptômes et de leurs difficultés : violences, sexualité débordantes, retrait social… Ils auront tendance a se regrouper en communautés dont le fonctionnement peut devenir pathologique. C’est a ces aspects que les professionnels de la relation doivent être sensibles. Ils doivent utiliser le réseau pour produire de la pensée et du sens

2. Le réseau comme lieu de travail. Les dispositifs d’écriture du réseau peuvent être utilisés comme des dispositifs de travail. Des adresses email professionnelles peuvent servir de lien avec des personnes ou des groupes de personnes. L’email est intéressant a utiliser par ce qu’il fait trace. Il peut donc être utilisé comme mémoire de la relation. La fréquence des mails envoyés, le moment ou ils sont envoyés, les contenus échangés sont colorés par la relation et peuvent être utilement être utilisé pour penser ce qui se passe. Le mail est aussi une porte ouverte vers le passé : la trace se fait archive. Il est aussi plus léger que le téléphone ou le courrier : on se sent moins obligé de répondre.

Un espace comme le blogue peut être un lien entre l’institution, les professionnelles, et les usagers. Associé à un compte Twitter, il peut facilement donner une image de la vie de l’insitution dans l’espace public. C’est un outil contre l’ostracisme dont je trouve qu’il est dommage de se priver. Il est tout de même étonnant qu’un site comme Les copains d’avant comporte des institutions psychiatriques, psychothérapeutiques et éducatives tandis que les professionnels de ces institutions peinent encore a se montrer sur le réseau !

Les dispositifs d’écriture peuvent être aussi utilisé de professionnels à professionnels. Le nombre d’outils collaboratifs, du traitement de texte au tableur, en passant par le mind mapping, la visioconférence, ou encore le social bookmarking est  suffisamment important et la technologie est suffisamment mure pour pouvoir être utilisé par tous. Pourquoi écrire seul un rapport de fin d’année alors qu’il est possible d’écrire à plusieurs ?

 

Les matières numériques sont des matières à penser. C’est vraiment une exigence.