J’ai été interrogé par David Martin pour radio Totem a propos des dedipics et de sexting. L’interview a été courte, et il ne m’a pas été possible de déplier complètement ce phénomène et je me suis surtout attaché a essayer de faire passer une idée : il faut garder un œil sur les pratiques adolescences, et les interdire lorsque c’est nécessaire. C’est un travail que les parents doivent faire, et il ne faut pas qu’ils s’appuient sur des éléments tiers comme des modérateurs des espaces en ligne ou un logiciel parental.

Un dedipic est une photo sur laquelle la personne apparait tenant un court texte  Le texte est généralement une dédicace au propriétaire du blogue sur lequel est posté la photo. Il s’agit donc d’une pratique de métissage mélangeant l’image (picture) et le texte (dedicace).

Le sexting est l’envoi de MMS ou de SMS à caractère sexuel. Les sondages qui ont été faits laissent entendre que la majorité des enfants ont été au contact avec une image sexuelle sur le réseau.

 

Jeux d’enfants et pornographie

Il faut d’abord faire la différence entre les jeux de pré-adolescents d’enfants et la pornographie. Les jeux d’enfants peuvent avoir un caractère sexuel, et ne méritent pas un traitement particulier de la part des adultes pour autant que les interdits fondamentaux n’ont pas été transgressés. Lorsqu’elle implique un enfant, la pornographie est un crime, et son traitement relève de la loi. Il est important de faire la distinction sinon on arrivera à des situation ou une loi sensée protéger les enfants sera utilisée contre eux.

La question de la pédophilie

La pédophilie est souvent présentée comme le grand danger de l’Internet pour les plus jeunes. S’il existe en effet des cas d’enfants séduits en ligne par des adultes, ceux ci demeurent fort heureusement rares. Il faut faire à ce propos deux remarques. La première est que dans la majorité des cas, le pédophile est un membre de la famille ou un proche de l’enfant. La seconde est que les enfants abusés en ligne sont des enfants.

 

Le harcèlement en ligne

Le danger les plus fréquent auquel les jeunes internautes peuvent être confrontés en ligne est  plutôt le harcèlement. L’internet offre en effet des moyens simples pour harceler quelqu’un : saturation de sa boîte mail, message offensant sur les forums, son blogue ou ses pages Facebook, Myspace ou Youtube. A un moment où l’estime de soi est en plein réaménagement, un déluge de messages insultants peut être dévastateur. Il faut aussi prendre conscience que les mondes en ligne donnent un effet de biais important : le harcèlement est plus visible par les adultes parce que Internet est un monde de traces. Les adultes sont alors confrontés à quelque chose qu’ils tentent généralement de ne pas voir : le monde de l’enfance est banalement un monde violent et sexualisé; ce n’est pas le monde idéalisé que la plupart des adultes s’en font après coup.

 

Elements de dynamiques sous jacents au dedipic

L’invention première du dedipic tient surtout à deux désirs assez banaux. Le premier est un désir d’interactivité. Un dedipic est beaucoup plus riche qu’un commentaire. Il donne une mesure de l’engament de la personne dans la relation puisqu’il faut d’abord prendre une image dont on aura soigné la composition et ensuite la téléverser sur le site distant. Un dedipic engage en personne : on donne de son image et donc de soi. Le dedipic bénéficie de toute la sensualité de l’image, de ses pouvoirs ((Tisseron, S., Psychanalyse de l’image))

Le second désir satisfait par le dédipic est l’authenticité. Le dedipic est la preuve en image que l’on est en lien en ligne avec de vraies personnes. Les adolescents qui sont en plein changements ont eu soif d’authenticité a peu près inextinguible. Les frontières entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas se déplacent et suscite un intense travail psychique autour de ce qui est réel et ce dont on ne peut que rêver.

D’autres tendances peuvent être en jeu : questionnement sur son corps, sur le désir de l’autre, jeux autour de l’emprise et de la possession…. Avec le dedipic, avoir l’autre dans la peau n’est plus une métaphore

Dans les pratiques adolescentes les choses commencent à déraper lorsque le dedipic entre dans un système de gratification narcissique. Le risque de dérapage est d’autant plus grand que la personne dispose de peu d’occasions de gratifications narcissiques dans son environnement.. Le risque est d’entrer dans un jeu de dupes : offrir à un autre un plaisir sexuel contre une gratification narcissique. Le dedipic n’est plus alors quelque chose qui ouvre sur une interactivité avec une personne. C’est le cache misère d’une relation perverse. Ce qui intéresse n’est pas en effet la dédicace mais le sexuel qui est a proximité ou derrière le texte : bout de cuisse, sein, pubis… Les dynamiques du web 2.0 accélèrent encore le processus en mettant chacun en position de rivalité imaginaire avec les autres : il est toujours possible d’aller plus loin, de faire des images de plus en plus rénumératrices