Un lien posté sur Twitter et Facebook menait à une vidéo dans laquelle on voyait un homme se tenir le coté et parler d’une voix oppressé. Autour de lui, des hommes en blouse blanche s’agitent. On prépare une seringue. L’homme parle encore. Sa respiration est de plus en plus difficile mais ce qu’il a a dire est important. La seringue se suspend. On le laisse parler. Des chants s’élève. Dieu est loué. Dans une pièce à coté, un homme est étendu. Sa tête est bandée. Son visage est calme. Il semble mieux en point que l’homme qui parlait. On le recouvre d’un drap blanc. Les chants redoublent. On découvre son visage. On le recouvre. Les images nous venaient de Tunisie. On était Lundi. Il était 8 heures du matin.

L’historien Jean Tulard rappelle dans une interview donnée au journal Le Monde une évidence lexicale. Une révolution n’est pas une révolte. Une révolte est “un acte spontané, qui nait d’une indignation, d’un ras-le-bol, d’un accès de désespoir. Elle est généralement anarchique, sans chef, sans mot d’ordre et limitée localement” tandis que la révolution “prône un changement radical d’hommes, d’institutions, de façon de penser”

Bref, dans un cas, il s’agit d’un mouvement de foule. Des personnes sont réunies ensemble par le même mouvement de sympathie ou d’antipathie. La foule peut se créer de façon “spontanée”, elle est difficilement contrôlable son mode de fonctionnement est irrationnel.

Les révolutions sont elles bien plus organisées. Elles sont préparées par des leaders qui prônent un changement idéologique, mais aussi par l’esprit du temps. L’avancée des connaissances et les progrès techniques changent grandement la façon dont chacun perçoit son environnement et donc  ce que chacun juge tolérable ou intolérable.

Il a été dit de la révolution tunisienne qu’elle a été précipitée par les médias sociaux. Les enthousiastes de l’Internet l’ajoutent alors à une succession de mouvements populaires qui ont secoué ou mis fin à des régimes dictatoriaux. On se souvient de la marée verte qui a envahit Twitter lors des évènements iraniens. Ou de la révolution Orange d’Ukraine. Sans oublier, bien sûr, Wikileaks, qui a montré les dessous de nos sages démocraties.

Sur les réseaux sociaux, nous avons le plus souvent affaire à des mouvements de foule. Chacun peut y exprimer sa sympathie vis à vis de personnes vivant dans l’oppression. Cette expression est d’autant plus facile qu’elle est peu couteuse. En quelques clics, il était possible de colorier son avatar Twitter en vert pour exprimer sa solidarité avec le peuple iranien. La twitttosphère a alors pris les couleurs de

Le mouvement de foule est aussi favorisé par le contact avec les images. L’image est en effet un extraordinaire vecteur d’émotions. Comment devant les images venant de Tunisie, ne pas se sentir en sympathie ? Comment ne pas calquer sa respiration avec celui qui parle ? Comment ne pas être en empathie avec le chœur d’hommes ? Avec le mort ?

Nous savons que dans le cas de la révolution d’Ukraine, le rôle de Twitter a été largement surestimé. Avoir accès à Twitter, surtout avec un smartphone, vous situe immédiatement dans la classe des favorisés. Or, ce sont les ventres vides qui font les révoltes et les révolutions. Nous savons aussi que ce qui avait été gagné par la révolution Orange vient d’être annulé est le pays est presque revenu au point ou il en était en 2004.

Cela ne veut pas dire que l’Internet ne joue aucun rôle dans les mouvements de soulèvement populaire. Une campagne d’Anonymous a sans doute contribué à la libération de Slim Amamou. En plus de ce soutien externe, l’Internet a également joué un rôle interne. Les messages postés sur Twitter et Facebook ont contribué à ce que chacun prenne conscience que son indignation était partagée par d’autres. Enfin, l’Internet est une source  vitale lorsque l’on est dans un pays qui censure l’information. Lire sur Wikileaks que la diplomatie américaine considérait que la famille de Ben Ali était mafieuse a permis une prise de conscience. Tout le monde le savait en Tunisie, mais personne n’osait le dire à son voisin. Et voilà que l’on découvre que les U.S.A. le pensent aussi !

Robert Darnton est historien, et il n’hésite pas à comparer les modes d’expression d’hier et d’aujourd’hui. Les libelles sont des articles racontant les faits et gestes des puissants de l’époque. Ils peuvent être bien renseignés ou tout simplement diffamatoires. Ils peuvent faire quelques pages ou quelques volumes. Ils sont édités en Angleterre ou aux Pays-Bas. Certains de leurs auteurs se retrouveront au cœur de la révolution française.  Robert Darnton montre que les libelles contribuent à construire l’espace public. Il n’hésite pas à en faire  un équivalent de la blogosphère : “au début de la Révolution, les français lisaient autant sur la vie privée des puissants que des traités sur les abus de pouvoirs”

Hier comme aujourd’hui, les nouvelles circulent dans l’espace public. Hier comme aujourd’hui, l’oralité le dispute à l’écrit.  Hier comme aujourd’hui la question du public et du privé se posent. Ce qui change, c’est la vitesse de circulation qui laisse moins de latitude aux uns et aux autres pour penser leurs actions.

L’Internet joue aujourd’hui exactement le même rôle que les libelles ont joué dans le Paris du XVIIIe siècle. C’est un espace de diffusion de l’information.  Il contribuera sans doute à reconfigurer l’espace public et  les relations aux pouvoirs politiques, scientifiques et techniques de la même manière que les libelles ont contribué à dessiner l’espace public tel que nous le connaissons. Le réseau appelle la construction de nouvelles relations à l’information. Mais en aucun cas, l’Internet ne fait la révolution.  L’Internet permet de faire connaitre sa révolte et de s’associer à d’autres. C’est peu. C’est beaucoup. Mais C’est insuffisant pour faire une révolution.

Faire de l’Internet l’alpha et l’oméga de tous les mouvements de contestation, c’est d’abord oublier que ceux-ci existent depuis bien avant le réseau. C’est ensuite surestimer ses effets en que l’information a des vertus positives en soi, et enfin c’est oublier les extraordinaires potentialités de surveillance et de contrôle que portent les mondes numériques

La révolution nécessite un engagement et une prise de risque. Descendre dans la rue pour faire face à des des gens en armes nécessite un autre courage qu’un RT ou un like.