« De vieilles blessures ont frayé vers la surface : un divorce douloureux, la sensation que je ne pouvais jamais être proche de quelqu’un. Alors que je traversais ces couloirs hantés, je commençais à être submergée par la peine, la perte et le désespoir. Il y a une seule chose de pire que la solitude : être seule face à elle ». Maria Ainsworth
En 1995, en proie à la peine et au désespoir, Maria Ainsworth cherche de l’aide dans l’endroit qu’elle connaît le mieux : le cyberespace. Son travail l’amène de long déplacements et elle a pris l’habitude d’utiliser le réseau pour pouvoir rester en contact avec ceux qui sont important pour elle. Le réseau est pour elle une ressource : elle y cherche donc un psychothérapeute
Elle fera le récit du travail effectué dans My life as a e-patient ((Hsiung, Robert C. 2002. E-Therapy: Case Studies, Guiding Principles, and the Clinical Potential of the Internet. W. W. Norton & Company.)). Elle y décrit finement des aspects de sa dépression, la difficultés que posent la recherche d’un thérapeute, le premier contact, l’attente anxieuse des mails de celui-ci et une partie du travail qui est fait autour des échanges en ligne
En France, les professionnels de la santé et de l’éducation tournent généralement le dos au réseau. Celui-ci leur semble trop souvent un lieu opposé aux travail qu’ils tentent de promouvoir. Le réseau serait un lieu de dissolution des identités, de la satisfaction immédiate, de l’étalage des perversions, de l’anonymat, de l’ absence de responsabilité…
Toute activité est une activité de pensée. Il n’y a pas de raison pour que ce que nous faisons en ligne, individuellement et collectivement, échappe à ce régime. Et il n’y a pas non plus de raison pour que le réseau soit d’emblée un espace de destructivité des individus et de dissolution des consciences. Le réseau est tout autant un espace ou l’identité se construit, ou chacun se confronte a l’altérité, ou les limites et la créativité s’exercent. C’est un espace de travail possible. Il est un "donné" que chacun utilise pour des fins conscientes et inconscientes. Certaines actions ouvrent sur davantage de symbolisation d’autres peuvent servir à enfermer durablement ou de façon passagère des aspects douloureux de la vie psychique.
L’internet est devenu tellement central dans notre culture qu’il me semble difficulté de le maintenir encore à l’écart du monde de l’éducation et du soin. Dans le domaine de l’éducation, il est important d’apporter aux plus jeunes des outils pour penser le réseau et ses usages. Faire quelque chose sur le réseau – ou même refuser d’y être – vous transforme et ce n’est qu’en pensant ce que l’on fait que l’on diminue les risques que ce cyberespace ne devienne qu’un espace de domination et d’aliénation . Pour tous ceux qui bénéficient d’une éducation spécialisée ou d’un soin psychothérapeutique, la connaissance de la culture du réseau et la possibilité d’utiliser ses ressources est encore plus importante
La mise en place dans une institution comme un Institut Médico Educatif ou le service d’un hôpital psychiatrique d’un blog donnait des occasions de travail. Tout, des détails techniques – quel moteur de blog utiliser ? quel template ? quel hébergement ? quel nom de domaine ? – jusqu’aux questions éditoriales : blogger sur quoi ? avec quels auteurs ? quelles signatures ? – pourrait soutenir un travail éducatif ou psychothérapeutique. Il serait possible de faire des ateliers blog ou l’on viendrait partager son expérience de bloggeur, se passer les trucs et les connaissances que l’on a acquis ou encore inviter un bloggeur. Les désirs, les affects, les fantasmes que l’on nourrit en bloggant pourraient y être travaillés dans un cadre psychothérapeutique : que signifie vouloir avoir toujours plus de pages lues ? Pour qui écrit-on ? A quoi renvoient les liens entrants et les liens sortants. Ce que l’écriture en ligne a de spécifique pourrait y être travaillé : à quel autre écrit on ? Pourquoi vouloir renter dans un classemement ? Comment travailler les possibilité d’édition ?
L’ouverture d’un blog pourrait répondre aux fonctions suivantes
Blogger pour réduire la stimagtisation. Malgré les efforts effectués, l’inscription dans un établisement spécialisé est toujours une stigmatisation. L’utilisation d’outils en ligne permettraient de travailler à la réduire. Dire ce qu’est un IME, la vie que l’on y mène, ou un hôpital psychiatrique c’est sans aucun doute permettre de réduire un peu les préjugés qui existent nécessairement au regard de ces établissements. Cela ne les fera pas disparaître, mais cela mettra au travail la question pour quelques uns.
Blogger pour ouvrer des espaces de médiation. Un blog, par le jeu des commentaire et des liens, ouvre des espaces de médiation. Cela pourrait être un espace de médiation entre l’institution et ce qui n’est pas elle, ou entre un groupe a l’ intérieur de l’institution et l’institution. Le blog peut être interne ou externe, et dans chaque cas les dynamiques de médiations seront différents. Lu uniquement par les membres de l’institution, il trace un "nous" dans lequel chacun est invité à se reconnaitre. Ce nous est par ailleurs ouvert aux différenciations : certains lisent et d’autres écrivent.
Blogger pour ouvrir un espace d’écriture. Blogger, c’est se soumettre aux exigence du travail d’écriture. C’est un travail qui emprunte à la fois à l’écriture et au dessin et qui a aussi ses exigences propres qui tient aux qualités spéciques de la peau numérique sur laquelle on écrit. Comme tout travail d’écriture, il offre des opportunités pour la transmission, l’ apprentissage et la symbolisation.
Sur ces questions, l’avance des éducateurs pourrait nous être utile. Sur PédagoTIC Patrick Giroux montre comment les matières numériques peuvent être mélangées à de la pédagogie; Mario Asselin tient également un carnet dans Mario tout de Go sur les questions d’éducation et De ce coté de l’atlantique, Florence Meichel a bloggue sur Education 2.0 . Les connaissances et les réflexions qu’ils ont engrangé sont très utiles pour qui voudrait utiliser les matières numériques dans un cadre thérapeutique.
Aurait-on là une de ces passerelles que les éducateurs et les psychanalystes cherchent depuis tant d’années entre ces deux métiers "impossibles" ? A vrai dire, je ne crois pas que le réseau apporte magiquement une solution, dans quelque domaine que ce soit. Mais il apporte des occasions nouvelles de travail. Il permet de voir et de travailler les choses anciennes sous des angles nouveaux.