Texte présenté à la journée de travail de l’OPLF “La sensibilité aux images, évolution ou révolution” le samedi 17 mai 2014, Paris

A quoi peut donc servir l’Internet à un psychanalyste ? Après tout, ce dont il a besoin c’est la libre association coté divan, l’abstinence, l’attention flottante et sa formation cotée fauteuil et entre les deux l’heureux mélange de tout cela. De mon point de vue, quatre positions sont possibles : 1) ne rien faire; 2) lire; 3) écrire et 4) pratiquer.

Ne rien faire

Le travail d’un psychanalyste est de faire de la psychanalyse, et pour ce faire il a généralement besoin d’un fauteuil, d’un divan, d’un patient, de quatre murs et d’une porte. Pour pouvoir entendre ce que le patient a presque rendu inaudible à lui-même, il faut tamiser a réalité externe. Il faut assourdir les pépiements de Twitter pour que la voix du patient puisse se faire entendre. Il faut s’éloigner des foules de Facebook pour que l’analysant puisse reconnaitre son vrai visage. De ce point de vue, les multitudes de Facebook et Twitter où les environnements richement colorés des jeux vidéo sont plus une gène qu’une aide.

Pour certains patients, la séance est le un espace-temps “off” où ils ne sont plus joignables. Durant quarante cinq minutes, ils peuvent se consacrer à eux-mêmes sans être interrompus par un mail, un message sur Twitter ou un appel téléphonique. La séance est alors vécue comme narcissisante parce qu’elle remembre une image du corps sans cesse menacée d’éparpillement par les sollicitations incessantes du monde extérieur.

Cette position a au moins deux inconvénients : elle est difficile à mettre en oeuvre. La numérisation de la culture fait qu’il est de plus en plus compliqué de ne pas rencontrer l’Internet. Les articles des journaux sont signés du nom Twitter du journaliste. Les émissions de télévision et de radio renvoient a des comptes de réseaux sociaux. Même les patients viennent aux séances avec des morceaux d’Internet plein les poches et plein les rêves. Le second inconvénient est que les personnes que nous avons sur nos divans ne sont plus les personnes du 19e siècle. L’individu n’est plus la personne unifiée. Il est un “dividu”. Sa vérité est au moins autant dans les éclats de voix et de visage des réseaux sociaux, que l’image unifiée que lui renvoi son miroir.

Lire

La seconde option est d’utiliser les ressources de l’Internet. La séance d’analyse ne commence pas quand le patient entre dans le cabinet et elle ne se termine pas quand il en sort. Elle se nourrit des rêveries d’après séance dans les temps de lecture et de travail collectifs ou solitaire.

L’Internet être un espace dans lequel les rêveries d’après séance peuvent maturer ou encore donner de nouveaux matériaux pour rêver avec le patient en séance.

On trouve tout d’abord sur Internet une partie du patrimoine de la psychanalyse. Par exemple, les archives de la Revue Française de Psychanalyse sont entièrement disponibles en ligne. D’autres textes sont accessibles sur des sites comme Cairn.info dont le catalogue comporte des revues de psychanalyse, mais aussi de psychologie, d’histoire, d’anthropologie, d’esthétique… Toutes les sciences humaines sont là, à portée de clic.

Pour qui pratique une autre langue, le champ de documents accessible s’agrandit encore. Des bouquets de revues accessibles depuis Science Direct ouvrent des fenêtres sur le travail des collègues anglo-saxons. Des services permettent de recevoir un mail a chaque fois que la psychanalyse – ou tout autre sujet est évoqué dans des revues, des journaux, ou des blogs. Cela permet de construire une veille sur des sujets que l’on souhaite travailler. Une personne qui s’intéresse à l’adolescence par exemple recevra un mail a chaque fois qu’une publication traitant de ce sujet sera publiée. La granularité de la veille peut être modulée : il est possible de recevoir toutes les alertes, ou seulement celles qui concernent une revue, ou encore seulement celles qui concernent un auteur.

On trouve de la psychanalyse se retrouve sur le site de partage de vidéo YouTube. Il est possible d’y d’entendre la voix de Freud à la BBC, de voir sa silhouette vacillante à Londres, de revoir Didier Anzieu a Apostrophes, d’écouter Elisabeth Roudinesco, Serge Tisseron ou Alain Gibeault.

L’Internet permet également de suivre l’actualité des associations de psychanalyse. L’International Psychaoanalytical Association est présente sur tous les grands réseaux sociaux (Facebook, Lnkedin, Twitter, Google Plus…). Elle a d’ailleurs la technologie au programme de son prochain congrès et se donne comme objet la question de savoir “comment les médias sociaux et la connexion permanente impacte les individus, les relations et la psychanalyse” Le Quatrième Groupe, grâce au travail de Geneviève Lombard, possède un site depuis juin 1998. C’est la première institution psychanalytique a être présent sur le réseau Intern Ecrire

La grande révolution d’Internet est d’être un espace d’écriture collective. Les médias précèdent comme la radio, la télévision ou la presse, sont des médias écrits par quelques-uns et lurent par beaucoup. L’internet est un média avec lequel tout le monde peut écrire. C’est un média de l’écriture de tous pour le plus grand nombre. Ce passage de la culture du livre a la culture du numérique change assurément beaucoup de choses.

Pour les psychanalystes, la participation peut prendre au moins deux formes. La première est la production de documents, et la seconde est la formation de communautés de pratiques.

Produire des documents

Depuis les années 2000, l’Internet a connu un tournant majeur. De nombreuses d’applications ont été développées afin de faciliter la mise en ligne de documents sur le réseau Internet. Flickr, YouTube, Blogger ont eté les locomotives de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler le web 2.0. Dix années plus tard, le mouvement s’est poursuivi avec le développement des réseaux sociaux. Facebook puis Twitter sont les arbres qui cachent la foret des Pinterest, Foursquare, Tumblr, Google Plus …

Toutes ces plateformes ont en commun de donner aux utilisateurs la possibilité de former des documents. Les psychanalystes peuvent participer à ce mouvement en contribuant a l’encyclopédie Wikipédia, ou en créant des blogs. L’intéret de cette démarche est de donner à la psychanalyse la visibilité qu’elle mérite. Les articles sur la psychanalyse de la célèbre encyclopédie en ligne sont souvent incomplets, ou comportent des erreurs. Aux USA, plusieurs facultés de psychologie ont déjà pris en charge de d’améliorier le contenu de Wikipédia, contribuant ainsi grandement à élever le niveau d’une ressource commune . Des blogs de psychanalystes permettraient également de diffuser dans l’espace public une image vivante et actuelle de la psychanalyse.

Former des communautés de pratique

Une communauté de pratique est un « un groupe de personnes qui partagent un intérêt ou une passion pour quelque chose qu’ils font ensemble, et qui apprend à le faire de mieux en mieux en interagissant » . Les communautés de pratique sont des des lieux de production et de transmission des savoirs.

Ces communautés existent bien avant sur Internet, mais elles s’y sont considérablement développées parce que l’écosystème numérique leur est particulièrement favorable. Dans l’histoire de la réception de l’Internet par les psychanalystes, de telles communautés ont déjà été créées. Malheureusement, dans le domaine francophone, certains rendez-vous ont été manqués par maladresse, incompréhension, ou connaissances insuffisantes. Les communautés formées autour de la psychanalyse restent encore à la fois trop peu actives et trop peu visibles.

Les anglo-saxon forment des communautés de pratique autour de leurs institutions avec des pages Facebook, des comptes Twitter où Linkedin. L’IPA est même présente sur Google Plus et YouTube. En France, quelques communautés existent sur le mail.Elles restant discret, peu visibles, et souvent peu actives.

Pratiquer

La pratique de la psychothérapie en ligne s’organise autour de deux acteurs institutionnels. Le premier est l’International Society for Mental Health Online, et le second est l’IPA.

A la fin de l’année 1999, des psychothérapeutes se rassemblent dans un groupe de travail de l’ISMHO. Ils se donnent comme objet et comme but de produire une recherche systématique sur les pratiques en ligne en s’appuyant sur des cas cliniques. Composé de 16 psychothérapeutes venant de pays et d’horizons théoriques différents, le groupe discute des difficultés techniques rencontrées, met l’accent sur les questions éthiques et élabore des modèles théoriques. Il est composé de 16 psychothérapeutes d’horizons théoriques et de pays différents.. Parmi les fondateurs, des pionniers de la psychologie en ligne comme John Suler et M Fenichel. Le groupe produit des documents importants sur la psychothérapie et la supervision en ligne.

Dans les années 1990, des débats passionnés animent l’IPA sur l’utilisation du téléphone par des psychanalystes. A l’arrivée de Skype (2003), les psychanalystes commencent à basculer leur pratique téléphonique sur l’Internet. Sur Skype, les utilisateurs sont identifiés par un nom. Ils peuvent communiquer vocalement, et par messagerie instantanée. Il est possible de formeur des appels groupés. Le logiciel de communication a été utilisé pour former des psychothérapeutes et des psychanalystes chinois. Le travail d’éclaississeent théorico-clinique sera surtout mené par Jill Scharff et présenté dans Psychoanalysis online. Mental health, teleterapy and training.

Le groupe de l’ISMHO et celui de Scharff s’ignore respectivement. Mais leurs conclusions sont similaires. Un travail psychothérapeutique est possible sur le réseau en ligne. La nouvelle situation pose des questions inédites, puisque le cadre est différent. Mais dans l’histoire de la psychanalyse, cette difficulté a été rencontrée à plusieurs reprise lorsque la psychanalyse a été appliquée à de nouveaux patients ou dans de nouveaux dispositifs. La psychanalyse des enfants et la psychanalyse des groupes a apporté un enrichissement considérable à la théorie et à la pratique de la psychanalyse.

Pour conclure : le numérique comme nouvelle piste du rêve

Le rêve est en quelque sorte la maison du psychanalyste. C’est par le rêve que la psychanalyse commence. C’est toujours au rêve que l’on revient pour comprendre la vie psychique. Or, il y a entré le rêve est les mondes numériques des points communs. Ils sont l’un et l’autre intangibles. Ils sont susceptibles de transformations infinies ou de se figer de façon presque définitive. Tous deux sont à l’articulation de la vie individuelle, privée, intime et du social.

Nous avons tous à gagner à suivre cette nouvelle piste du rêve.Si le rêve est bien notre maison première et commune, nous trouverons, j’en suis sur, dans cette maison de campagne qu’est le numérique, des occasions de rencontre et de renouvellement.