Le colloque L’enfant et les violences invisibles réunissait des professionnels (psychologues, travailleurs sociaux, juges…) autour des violences faites aux enfants.

Nous sommes dans une situation paradoxale. Alors que notre société affirme pratiquement à chaque instant l’importance qu’elle accorde à ses enfants, dans les faits elle les maltraite. Elle les maltraite en ne satisfaisant pas leurs besoin impérieux de sécurité psychologique et physique. Elle les maltraite en leur imposant des rythmes dont on sait qu’ils rendent leur développement plus difficile.  Elle les maltraitent en sachant les mesures à prendre pour leur permettre de grandir dans le meilleur environnement social et en ne les prenant pas.

 

La situation est pire encore pour les enfants présentant des difficultés d’évolution ou des psychopathologies.  Les personnes qui doivent s’occuper de ces enfants voient leurs conditions de travail dégradées.  Il leur est imposé des outils d’évaluation, sous le prétexte d’une amélioration des services rendus, qui dégradent encore davantage leur travail. Le droit, qui doit normalement protéger les enfants, les expose lors de leurs auditions chez le juge des familles. Les auditions étant soumises au contradictoire c’est à dire qu’elle sont versées au dossier des deux parents. Comment imaginer que dans un divorce difficile, l’enfant ne soit pas ensuite l’objet de violences psychologiques ou physique de la part du parent qui s’estime “trahi” ? Sous prétexte d’intégration scolaire, nous détruisons les lieux d’accueil spécialisée. Nous réduisons également le niveau de formation des personnes devant s’occuper des enfants. Nous utilisons des personnes en situation de précarité  pour s’occuper d’enfants dont les familles sont elles même en situation de précarité. Nous supprimons le défenseur des enfants.

Le tableau est plus que sombre. McLuhan résumait cela en une phrase lumineuse : “Nous avons maitrisé l’art d’accomplir les opérations sociales les plus dangereuses avec le plus complet détachement”  (McLuhan, 1964)

 

J’ai tenté d’apporter mes lumières quant aux violences que les enfants peuvent rencontrer en ligne.

Mon souci était double. Ecarter les violences imaginaires et attirer l’attention de l’auditoire sur les violences réelles. Les violences imaginaires sont celles que les jeux vidéo et l’Internet feraient subir aux enfants. Les jeux vidéos ne provoquent pas de décrochages scolaires, d’insomnies ou d’explosions de violence. Ils ne sont que les sentinelles avancées du mal être des enfants.

Parmi les violences réelles, il faut prendre en compte la pédophilie. Mais il faut en préciser les contours car là encore l’imaginaire risque de nous faire mettre en place des mesures de protection là où il n’y a pas de danger .Dans la grande majorité des cas, les pédophiles se trouvent dans l’espace social de l’enfant : dans la famille le plus souvent, mais aussi dans le cercle des activités sportives et culturelles. Ensuite, lorsqu’ils agissent en ligne, les pédophiles avancent rarement masqués. Ils font état de leur identité d’adulte et s’en servent pour séduire les enfants. Enfin, il arrive parfois que des pédophiles se fassent passer pour des enfants. Les protections passent par l’intégration par l’enfant que sa personne est sacrée. Cela ne se fait au jour le jour, par le respect total des parents de l’intimité physique et psychique de leur enfant.

Le harcèlement est l’autre violence à laquelle les enfants peuvent être exposés. Les anglo-saxon ont forgé le terme de “cyberbullying” après l’affaire de [W:Starwars kid]. L’histoire commence avec une vidéo Youtube de Ghyslain Raza jouant avec un ramasse balles. La chorégraphie de Gylslain évoque les combats des maitres Jedi et  lui vaut le surnom de Starwars Kid. La vidéo est remixée : le sabre laser et son vrombissement caractéristique sont ajoutés. On verra Starwars kids dans a peu près toutes les situations et contre tous les types d’adversaires. Starwar Kids vaut tout d’abord à Ghyslain un moment à la Andy Warhol. Il est célèbre. Mais bientôt cette célébrité se gâte. Les millions de vues et les milliers de commentaires négatifs finissent par affecter Ghyslain qui déprime et évite l’école. Les parents portent plainte et se découvre le fait que le harcèlement en ligne recouvre le harcèlement dont il était victime à l’école

Plus près de nous, Jessi Slaughter a été harcelée par Anonymous. La encore, la culture du remix et du lulz feront leur travail. La police a fini par s’en mêler et une enquête sociale a été ouverte.

L’Internet nous apporte pratiquement tous les jours des cas extraordinaires de ce type. Mais ils ne doivent pas nous faire oublier l’ordinaire de la violence que les enfants peuvent subir en ligne. Le harcèlement en ligne peut prendre plusieurs formes : exposition publique de matériel confidentiel ou privé, création de groupes haineux, création et maintien de rumeurs. Ces attaques sont extrêmement préjudiciables a qui en est la victime parce qu’elles le touchent dans sa sécurité de base. Ce qui lui était intime est brutalement porté à la connaissance de tous et moqué. La honte est la clé de ce harcèlement. C’est d’abord ce qui est éprouvé par la victime. C’est ensuite ce qui est recherché par les agresseurs.

Cette honte porte des menaces de désintégration psychique. Elle attaque à la fois l’intégrité narcissique et les relations d’objet. En effet, le sujet honteux se sent atteint  dans ses investissements narcissiques (il est moqué pour ce qu’il est) et dans ses investissements objectaux puisqu’il est mis au ban de la communauté.

Ici, les enfants sont à la fois bourreaux et victimes. L’Internet met au grand jour le tumulte et la violence des cours de récréation et des salle de classe. Plus exactement, le réseau met à jour la violence que chaque humain porte en lui. Nous avions l’habitude de la compartimenter dans des espaces et des temps spéciaux : tel coin de la cours de récréation, ce moment que l’on appelle l’adolescence. Nous avions aussi des rites qui permettaient une expression socialisée de la violence. Ces espaces, ces temps, ces rites disparaissent. Notre société a la violence en horreur, ce qui la rend encore plus violente. Et surtout, les plus jeunes cherchent des espaces pour pouvoir exprimer cette violence. Le réseau sont pour eux des terrains vagues. Mais ce sont des terrains vagues qui gardent en mémoire les passages et les éclats.

Il est encore une violence qui est faite aux enfants à propos des ordinateurs et de l’Internet. C’est celle qui consiste à penser que les enfants en maitrisent naturellement les codes. Ce “naturellement” les met tranquillement au

 

 

Toutes ces violences ne sont malheureusement invisibles que pour une seule raison : nous détournons le regard de la maltraitance faite aux enfants. Nous organisons notre propre confort sous le prétexte du “bien” des enfants. La bonne nouvelle est que nous pouvons le changer.